C. Succès et insuccès des avertissements agricoles

1. Les avertissements au service de la qualité commerciale

Avant la Seconde guerre mondiale, les responsables des avertissements agricoles considèrent qu’un faible taux de déprédation est acceptable. Des prévisions encore imprécises contribuent à limiter les pullulations de certains déprédateurs. Les avertissements agricoles permettent l’augmentation des rendements, des productions de qualité, la reconquête de certains marchés, et des économies dues à des traitements opportuns. Durant l’Occupation, les exigences du marché sont moindres. Lors de l’instauration du S.P.V. en 1941, les produits de qualité modeste trouvent parfaitement preneur et les stations, lorsqu’elles parviennent à un fonctionnement régulier, se doivent essentiellement de sauver quantitativement les productions agricoles. À la Libération, les services officiels tentent de rétablir les rendements d’avant-guerre. Cependant, très rapidement les critères qualitatifs deviennent très stricts.

Le maintien, l’extension ou la remise en état de cultures condamnées, par le commerce national ou international, à cause des déprédateurs, permet de comprendre l’intérêt suscité par les avis de traitements. Certes, « les ressources infinies de la chimie organique ont mis au point des produits nombreux et spécifiques qui permettent le maintien de cultures dont la disparition ou la régression étaient dues à la pullulation des parasites animaux »1925, mais, l’application des traitements à bon escient est essentiellement le fait de la diffusion des avertissements agricoles. Un rapport de la circonscription de Bordeaux indique en 1952 : « Les agriculteurs encouragés par les avertissements agricoles dans la lutte contre les parasites donnent plus d’extension à certaines cultures qui peuvent devenir ou redevenir des sources de richesses locales ou nationales »1926. Dans ce cas précis, il s’agit du renouveau de la production des prunes d’Ente, abandonnée précédemment à la suite des déprédations d’un insecte, l’hoplocampe. Cependant, nous devons noter que le S.P.V. participe, en complément des avertissements, à d’autres méthodes de diffusion des techniques de lutte. La vulgarisation de ces méthodes destinées à combattre les deux principaux ravageurs des pruniers (hoplocampe et rhynchite) emprunte les techniques de propagande les plus modernes. Un film est élaboré par le directeur de la station de zoologie agricole du Sud-ouest et le contrôleur du S.P.V. d’Agen dès le début de l’année 1945, époque où les pellicules demeurent une denrée rare1927. Après la projection du montage définitif, le 25 septembre 1947, au cours du congrès pomologique de France, le compte-rendu du film conclut : « Désormais les vergers pourront refleurir : de beaux fruits pendront aux arbres, car les pruniculteurs savent maintenant quand et comment traiter contre les ravageurs de la prune d’Ente »1928.

Outre, l’intérêt de rétablir des cultures auparavant peu entretenues, le S.P.V. contribue à améliorer la qualité sanitaire des produits.

Après-guerre, d’un point de vue commercial, quelques fruits ou légumes parasités suffisent alors à condamner l’ensemble de la production française. Un article publié par les services de propagande de l’E.C.A. (Économic coopération administration), organisme chargé de l’application du plan Marshall, n’oublie pas de rappeler que l’A.F.N.O.R. (Association française de normalisation) « a créé pour les pommes, les pêches et les asperges françaises des étiquettes de qualités facilement identifiables ». Ainsi, « une fiche spéciale, largement diffusée avertit l’importateur étranger qu’il ne trouvera, sous l’étiquette N.F.V. 25.0041.A.4. que des pêches françaises exemptes de meurtrissures, de crevasses, d’attaques d’insectes et de maladies, ayant toutes de 71 à 63 millimètres de diamètre »1929. L’article n’omet pas d’ajouter, au sein d’une longue énumération, « que quelques cageots de cerises magnifiques sur le dessus et détestables au fond suffisent à faire condamner toute la production d’un pays ».

En 1962, un bulletin d’avertissement du Languedoc, consacré à la mouche de la cerise, alerte les arboriculteurs sur l’importance des fruits exempts de danger phytosanitaire et agréables à l’œil : « Il est donc exigé non seulement que les cerises exportées soient indemnes d’œufs ou d’asticots mais encore qu’elles ne présentent pas de traces de piqûres alimentaires »1930. Les avertissements agricoles permettent alors d’expliciter les raisons des épandages et ainsi, de prendre le problème en amont des contrôles effectués par le S.P.V. aux frontières, sur les marchés ou dans les pépinières.

Dès les années 1950, la formation des grandes exploitations spécialisées, l’implantation de monocultures localement nouvelles et la réduction du nombre d’entreprises non rentables sont autant de phénomènes qui permettent à l’agriculture végétale française de répondre à l’exigence des marchés intérieurs et extérieurs. Le procès-verbal d’une réunion du S.P.V. de 1966 indique que les utilisateurs principaux des avertissements agricoles sont constitués par les moyens et gros producteurs (exploitations à caractère industriel). Les exigences des arboriculteurs sont alors considérées, pour la moitié sud de la France, comme les plus sévères : « Ils veulent une production de première qualité, sans déchet, au meilleur prix de revient »1931.

Mais, la notion de qualité se modifie au cours du temps, qu’il s’agisse des marchés nationaux ou extérieurs. Dans les années 1960, la remise en cause de la toxicité de certains pesticides encourage des producteurs spécialisés à raisonner l’emploi des substances chimiques. Le nombre réduits traitements réduits convient aux exploitants, la faible toxicité des substances correspond aux souhaits des consommateurs et l’efficacité des épandages, réalisés à bon escient, assure les débouchés commerciaux. Nous pouvons donner comme exemple, une coopérative de producteurs de fraises de l’Aveyron (secteur de Saint Geniez), qui demande, dès 1962 (et au moins jusqu’en 1964), au S.P.V. de Montpellier d’établir un programme de traitements, utilisant les produits les moins toxiques au moment opportun. Il est vrai que le Président de la coopérative possède un doctorat de médecine…1932.

Notes
1925.

J. RATINEAU, « L’agriculture française », dans Rapports France-Etas-Unis, février 1951, n° 47, pp. 3-9 [Citation p. 5]

1926.

AN.-F., 5 SPV 87, Rapport sur la protection des végétaux et les avertissements agricoles en Gironde, 23 mars 1951, 4 p.

1927.

A.N.-F., 10 S.D.I. 25. Dossier sur le film “Les insectes de la prune d’Ente”, 1945-1948.

1928.

ANONYME, « Analyse du film : “Les insectes de la Prune d’Ente », dans 78 e session du congrès pomologique de France, 25-28 septembre 1947, Perpignan, p. 105.

1929.

Jean LECERF, « Qualité fait loi », dans Rapports France-Etats-Unis, septembre 1951, n° 54, pp. 48-54

1930.

AN.-F., 5 SPV 95, V. LAGAUDE, « La mouche de la cerise : Rhagoletis cerasi », Avertissements agricoles, Bulletin technique des stations d’avertissements agricoles, Edition de la station du Languedoc-Roussillon, 1er supplément au n° 20, 8 mai 1962

1931.

AN.-F., 5 SPV 115, Réunion du groupe d’étude de la région sud, Bordeaux, 15 février 1966, 9 p.

1932.

A.N.-F., 85 0474-4, Lettre de P. Bervillé, Inspecteur de la P.V. à Montpellier au chef du S.P.V. à Paris concernant un projet de réorganisation des avertissements agricoles, en date du 24 mars 1964.