4. Les réticences aux avertissements agricoles

Comme l’indique les responsables des avertissements du S.P.V. dans chaque circonscription au début des années 1960, « beaucoup pensent encore qu’il leur suffit de s’en remettre à ces calendriers de traitements aussi commode à consulter que l’est l’almanach des postes et télégraphes si l’on veut savoir quel dimanche d’avril tombera Pâques ou quel jour de la semaine devra se fêter tel anniversaire »1952. Or, les calendriers de traitements assurent une protection des cultures fondée sur une analyse statistique des événements phénologiques et parasitaires des années antérieures ainsi que sur la rémanence des produits utilisés. Dans le paragraphe précédent, nous avons évoqué les méthodes adoptées pour entretenir certains vergers industriels au début des années 1960. Ces derniers se trouvent soumis à des cadences d’épandages phytosanitaires soutenues correspondant à un passage tous les sept jours. Certes la tavelure n’est pas la seule maladie combattue lors d’un épandage puisque la compatibilité de nombreux pesticides permet d’obtenir des traitements mixtes. Quoi qu’il en soit, « il s’agit là de méthodes de “grande assurance” où le point de vue technique devient secondaire par rapport à des problèmes d’ordre économique (organisation du travail, emploi du matériel…) »1953.

Les calendriers de traitements pré-établis, possèdent un avantage pour les cultivateurs par rapport aux avertissements agricoles Ces derniers, au fil du temps, deviennent moins directifs et comptent sur les réflexions des agriculteurs pour modifier les indications proposées en fonction des situations de chacun. En effet, « c’est le cultivateur qui, en dernier ressort, prend la décision » 1954. Certes, comme l’affirme le directeur-gérant des avertissements en 1960 : « il est préférable, sauf dans des cas nettement tranchés, d’appliquer à la lettre les avis de traitements, plutôt que de se livrer à des initiatives hasardeuses ». Dans certaines entités géographiques comme les régions montagneuses les territoires n’entrant pas dans les prévisions générales apparaissent en grand nombre. En présence de déprédateurs très sensibles au climat, carpocapse par exemple, « il appartient à l’arboriculteur d’effectuer les corrections pour ses vergers suivant leur situation propre »1955. Dans les mêmes secteurs, lorsque les détails biologiques des parasites ne sont pas parfaitement maîtrisés, les nombreux microclimats ne favorisent pas une prévision particulièrement précise. Ainsi, en 1953, « les arboriculteurs des départements de Savoie enregistrent des échecs partiels dans la défense contre les tavelures, malgré un plan de lutte soigneusement dressé et “remanié” chaque année, en fonction de leurs propres constatations aussi bien que de celles des stations d’avertissements agricoles du Service de la Protection des Végétaux »1956.

L’insuffisance des avertissements entraîne parfois des oppositions encore plus manifestes. Dès 1952, la station lyonnaise expédie des bulletins d’informations maraîchères à plusieurs producteurs, d’abord individuellement, puis par l’intermédiaire de leurs organisations professionnelles, enfin directement aux mairies des zones concernées (pour les textes réglementaires). « Mais, les usagers eux-mêmes semblent se désintéresser de ces informations. Sans doute se ramènent-elles pour eux à un simple calendrier de traitements reconduits d’année en année ; la documentation des firmes productrices d’antiparasitaires leur paraît d’autre part suffisamment complète »1957. En réalité, jusqu’au milieu des années 1960, les stations du S.P.V. possèdent peu de renseignements pratiques sur l’efficacité de certains produits autorisés dans ce type de culture. Les expérimentations systématiques deviennent alors une priorité. La diffusion des avertissements correspond alors à un objectif ultérieur sauf pour quelques déprédateurs dont les méthodes de prévision sont opérationnelles et les produits efficaces reconnus. Ce fait explique pourquoi certains praticiens s’en remettent volontiers aux entreprises phytosanitaires plutôt qu’aux services de l’Etat. Par ailleurs, certaines carences du S.P.V., explicables par un manque chronique de moyens, permettent à des firmes privées de se substituer aux conseils dispensés par les avertissements agricoles. En effet, dans le cas du mildiou de la tomate, pour lequel les prévisions sont parfaitement maîtrisées, des entreprises, qui ne pratiquent pas de méthodes économiques de préventions, remplacent le S.P.V. dans certains secteurs comme le midi rhodanien.

Dans l’ensemble, la diffusion des avertissements agricoles, concernant les déprédateurs des cultures maraîchères, ne constitue pas, au début des années 1960, une réussite pour le S.P.V. Dans plusieurs régions (Anjou, Bourgogne, Comtat), le service d’informations « se limite de plus en plus aux cultures légumières de plein champ », mais « même dans ces conditions, les intéressés y paraissent peu attachés ». Cependant, le S.P.V. souhaite conserver des liens avec la profession pour être en mesure d’effectuer les avertissements nécessitant une grande rapidité d’exécution mais également reprendre une influence dans l’éventualité d’une modification des comportements.

L’orientation des bulletins tend, à partir de 1970 à être recentré sur « les problèmes pour lesquels les stations ont réellement des avis ou des observations particulières à communiquer ». Pour le S.P.V., « il est inutile de traiter de questions que l’agriculteur trouvera largement développées par ailleurs »1958. En fait, la limitation des moyens financiers du S.P.V. incite le chef du service à affirmer en 1971 : « dans la pratique et pour nous résumer il sera nécessaire dans l’immédiat de restreindre ou d’abandonner certaines questions plutôt que de vouloir s’occuper de tout et le faire mal »1959.

L’action du S.P.V., par l’intermédiaire des avertissements agricoles, ne se limite pas à préciser des dates de traitements. Les matières actives les plus adéquates à la situation font partie intégrante des conseils diffusés par les avis de traitements. Comme le note le bulletin de février 1971, publié à Beaune, les stations doivent, « par un choix raisonné, rendre les traitements indispensables aussi supportables que possible tant dans leurs nuisances vis-à-vis de l’homme, de la faune auxiliaire, des abeilles et de la nature en général, que dans leur prix de revient »1960. De manière générale, il semble assez délicat de savoir si le type de propositions émises dans le sens de ces réflexions reçoit l’agrément des praticiens. En revanche, dans quelques cas particuliers, notamment en ce qui concerne les cas de résistance ou la protection des abeilles, se manifeste de profonds désaccords avec les directives officielles. Ainsi, en 1973, le bilan des épandages d’insecticides sur colza dans l’Indre et le Cher indique clairement une destruction massive d’abeilles. Les agriculteurs traitent souvent en dehors des périodes légales c’est-à-dire après le début de la floraison, utilisent des produits toxiques car le coût est inférieur aux insecticides spécifiques et effectuent les traitements nocturnes en camouflant les substances utilisées dans les emballages de produits plus inoffensifs. Par ailleurs, certains exploitants préfèrent les pesticides les plus toxiques car ils estiment que les matières actives les plus radicales sont celles qui possèdent une action spectaculaire et immédiate1961. Nous ne pouvons pas affirmer que ce type de comportement s’oppose à un abonnement aux bulletins des stations mais, comme il s’agit d’agriculteurs informés, qui contournent les règlements, largement diffusés et commentés par les avertissements agricoles, il est pratiquement certain que leurs sources d’informations ne se situent pas auprès des services officiels. Nous ne pouvons donc considérer qu’ils s’intéressent aux publications des stations du S.P.V.

Les premières stations d’avertissements agricoles sont mises en place par la volonté d’hommes réceptifs vis-à-vis des problématiques de terrain. Certains, comme Joseph Capus ne seront pas véritablement reconnus par les spécialistes de l’époque. Ils semblent cependant bénéficier du soutien des praticiens auxquels ils permettent de réaliser des économies. Les traitements préventifs seront reconnus et développés par les structures de l’Etat dans l’Entre-deux-guerres. Organisés par le SPV dès la Libération, les centres avertisseurs couvrent progressivement la majeure partie du territoire en fournissant des informations fiables. Les Fédérations départementales, que l’Etat charge en 1945 de diffuser les avertissements agricoles, n’assurent plus cette fonction dès le début des années 1970. Nous n’avons cependant pas découvert de documents susceptibles de fournir les motifs exacts de cette suppression de fait. Malgré ce manque d’informations nous tenions à traiter les avertissements agricoles dans la partie consacrée aux seules structures qui s’intéressent de manière horizontale à la défense des végétaux. Nous pouvons ainsi, malgré de multiples difficultés, apprécier l’impact de la diffusion des résultats de techniques de prévision très particulières. Il apparaît, malgré les doutes que nous avons parfois émis, que, dans l’ensemble, les avertissements agricoles sont très appréciés par les lecteurs et certainement suivis d’une manière ou d’une autre par les praticiens qui ne sont pas identifiables en tant qu’abonnés directs ou indirects.

Notes
1952.

AN.-F., 5 SPV 93, « Limites et inconvénients des calendriers de traitements », dans Avertissements agricoles, Bulletin technique des stations d’avertissements agricoles, Edition de la station du Val de Loire, [d’après un texte de Lucien BOUYX, Directeur-gérant des éditions nationales des avertissements agricoles, publié simultanément par l’ensemble des stations sous des formes plus ou moins modifiées], n°1, octobre 1960

1953.

R. DIVOUX, La détermination des dates de traitements dirigés contre les tavelures des fruits à pépins », dans Bulletin technique d’information, n°187, 1964, pp. 111-131

1954.

AN.-F., 5 SPV 93, G. RIBAULT, G. BENAS, « Traitements d’assurance, calendriers de traitements et avertissements agricoles », dans Avertissements agricoles, Bulletin technique des stations d’avertissements agricoles, Edition de la station d’Orléans, n°1, octobre 1960

1955.

AN.-F., 5 SPV 92, ANONYME, « Résultat de l’enquête phytosanitaire effectué en 1957 auprès de nos abonnés », dans Avertissements agricoles, Bulletin technique des stations d’avertissements agricoles, Edition de la station d’Avignon, Edition alpine, n°2, 11 mars 1958.

1956.

H. MALLINJOUD, « La défense contre les tavelures en Savoie », dans Phytoma, juin 1953, pp. 21-22

1957.

A.N.-F., 92 0144 5 SPV 115, Compte-rendu de la réunion régionale des avertissements agricoles, 25 février 1964, 7 p.

1958.

A.N.-F., 92 0144 5 SPV 117, Procès verbal de la réunion d’automne des avertissements agricoles, 29 septembre 1970, 5 p.

1959.

A.N-F., 5 SPV 117, Réunion régionale des avertissements agricoles, groupe Nord-est, Arras, 23 février 1971, 8 p.

1960.

A.N-F., 5 SPV 117, G. VARLET, « le service de la protection des végétaux », dans Avertissements agricoles, Bulletin technique des stations d’avertissements agricoles, Supplément n°1 au bulletin 125, 18 février 1971, 3 p. édition de la station de Bourgogne et Franche-Comté.

1961.

A.N.-F., 5 SPV-14 Lettre de G. BENAS, Chef de la circonscription S.P.V. du Centre au Chef du S.P.V. à Paris en date du 5 octobre 1973