Une lutte nécessaire et permanente

A la fin du dix-neuvième siècle, dans l’ouest de la France, 80 à 100 litres de semences permettent d’emblaver un hectare . Mais, « pour faire la part des petits animaux, le cultivateur avoue qu’il est obligé d’employer 250, 280 et même 300 litres de grains par hectare »1963. De telles normes, mises en œuvre lorsque les destructions ne se manifestent pas de manière soudaine et apparaissent comme prévisible, impulsées par une attitude fataliste, s’effacent grâce à une connaissance précise des déprédateurs et par conséquent grâce à la généralisation progressive de l’usage des produits de traitements performants.

Cependant, les animaux et végétaux nuisibles ne constituent pas un ensemble fixe et identifié de manière définitive. Depuis le milieu du dix-neuvième siècle, les naturalistes envisagent les échanges commerciaux comme le principal facteur d’accroissement du nombre d’espèces d’hôtes indésirables. En effet, l’évolution des tonnages et du nombre d’espèces de végétaux transportés, souvent d’un continent à l’autre, engendre un accroissement continuel du nombre d’hôtes indésirables dans les cultures. Mais cette augmentation, particulièrement sensible après 1945, correspond également à une période d’évolution scientifique permettant une réponse adaptée à chaque nouvel apport. Ainsi, au vingtième siècle, malgré l’acclimatation de redoutables destructeurs, dont le doryphore, force est de constater que le territoire français métropolitain n’est le théâtre d’aucun désastre de grande ampleur. Mais, qu’il s’agisse de déprédateurs autochtones ou allochtones, leurs dégâts demeurent souvent plus limités dans le cadre de parcelle de petite taille. Avec la généralisation d’une agriculture productiviste, notamment constatée après la Libération, destinée dans un premier temps à permettre l’autosuffisance alimentaire d’une France de plus en plus peuplée, de nombreux ennemis des cultures trouvent un milieu favorisant leur pullulation. Cependant, parallèlement au développement quantitatif des déprédateurs identifiables et souvent visibles, les progrès scientifiques, en particulier en virologie et en bactériologie, permettent d’isoler des agents infectieux dont seuls les effets étaient précédemment connus.

Cette profusion d’ennemis des cultures, les dégâts qu’ils commettent et les difficultés d’enrayer les pertes imputables à ces organismes sont des éléments qui font considérer, par les responsables des programmes de lutte, la protection des végétaux comme un moyen d’assurer définitivement les besoins alimentaires de la France et au-delà de l’humanité. C’est ainsi que Robert Régnier, qui s’illustre précédemment dans la diffusion du virus Pasteur, propose en 1951 d’utiliser 15 à 20 % de produits en plus pour accroître la productivité de 20 à 30 %. Or, cette augmentation de la productivité, concevable et réalisable si l’on considère que la défense des cultures « déborde le cadre agricole », est pour Régnier « une nécessité sociale » et « une nécessité vitale pour l’humanité »1964. Il est a noté que ce discours est récurent au cours du vingtième siècle et apparaît à nouveau publiquement avec la création des OGM.

Notes
1963.

BIDARD, « Des insectes qui dévorent le blé en terre », dans Extrait des travaux de la Société d’agriculture de Seine-Inférieure, cahier n° 195, 1879, pp. 921-925

1964.

Robert RÉGNIER, « La phytiatrie et la phytopharmacie au service de la nation », dans La défense des végétaux, n°1, 1952, pp. 23-25