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La lutte chimique dans l’impasse

Résultat de réponses précises à des difficultés phytosanitaires particulières, l’approche de la protection des végétaux telle qu’elle demeure perçue jusqu’aux années 1950, est remise en cause de manière définitive, au moins en théorie, par l’ensemble des effets secondaires que nous avons signalés. C’est ainsi que l’usage général d’un produit, ou d’une famille chimique, entraîne des phénomènes de résistance grâce à une sélection de masse (doryphore), à une prolifération d’ennemis nouveaux ou peu abondants par stimulation (acarien) ou vacance d’une niche écologique (graminées supplantant les dicotylédones), ou encore à une destruction du cortège d’auxiliaires et de pollinisateurs (abeilles). Or, cette situation conduit les agriculteurs à une impasse technique alors même que pour la première fois dans l’Histoire, l’Homme possède la capacité de protéger ses récoltes.

La publication du livre de Rachel Carson, s’il permet de mettre en évidence l’intérêt d’une approche holistique des traitements phytosanitaires, offre également la particularité, dans un premier temps, de cristalliser les antagonismes et par conséquent de retarder l’évolution immédiate des pratiques phytosanitaires. À terme, l’impact de cet ouvrage permet au contraire, d’une part de mobiliser l’ensemble des chercheurs publics et privés et, d’autre part, de rendre public et compréhensible un certain nombre d’excès dont les impacts négatifs les plus rapides et les plus visibles influencent la production agricole elle-même.

Or, le développement de traitements décidés en fonction des répercussions possibles au sein de l’écologie propre à chaque parcelle cultivée, prenant également en compte l’aspect économique de la production et l’impact psychologique sur les praticiens, apparaît sous la dénomination de lutte intégrée, idéal mis en pratique grâce aux conséquences désastreuses d’une lutte chimique plus ou moins aveugle et sensée répondre aux attentes de la production nationale. Un article, publié en 1986 dans un périodique de l’I.N.R.A., résume parfaitement les attentes des techniques mises en place dès les années 1960 : « Ces méthodes raisonnées semblent aujourd’hui avoir le consensus des différents protagonistes : les agriculteurs d’abord, qui trouvent parfois dans cette conception la seule stratégie utilisable contre certains ravageurs, une réduction de leur prix de revient, l’impression de répondre aux souhaits des consommateurs en fournissant une production avec diminution des interventions chimiques, enfin la satisfaction de la maîtrise des processus ; les sociétés phytopharmaceutiques, dont le souci est de ne pas grever exagérément le budget des agriculteurs, d’éviter l’apparition des phénomènes de résistance, réduisant la période d’amortissement de produits dont la mise au point des procédés de fabrication et des dossiers d’homologation représentent de lourdes charges financières, de pouvoir vendre certains produits coûteux, enfin de bénéficier d’une image de marque satisfaisante vis-à-vis de l’opinion publique ou de s’ouvrir des possibilités de vente dans d’autres pays ; enfin les biologistes en général, car l’emploi des produits chimiques de façon abusive ne peut être souvent qu’en contradiction avec la connaissance des milieux qu’ils ont acquise »1966. Il est cependant à noter que le coût des recherches industrielles, concernant les méthodes d’évaluation de la toxicité et de l’impact sur les auxiliaires, croît considérablement dès le début des années 1970. Le nombre de produits susceptibles de connaître un développement agricole se restreint d’autant et constitue l’un des facteurs techniques, probablement renforcé par l’apparition des organismes génétiquement modifiés, d’explication de la réduction, par concentration, du nombre de firmes agrophamaceutiques à l’extrême fin du vingtième siècle1967.

Notes
1966.

Serge-Henri POITOUT, François LECLANT, « Protection des plantes cultivées et évolution sociale et industrielle aux XIXe et XXe siècles », dans Culture technique, n°16, juillet 1986, pp. 160-175

1967.

La contribution de l’industrie phytosanitaire (réalisé par la C.S.P.) au rapport du comité des industries chimiques et parachimiques spécialisées (commission de l’Industrie du VIe plan), en janvier 1970, prévoit déjà la diminution de l’effort de recherche agrochimique industrielle à cause du coût imputable et de la durée des études toxicologiques limitant le temps pendant lequel les brevets sont financièrement rentables [A.N.-F., 16 SPV 21].