Encouragement de l’organisation collective

En dehors de l’utilisation adéquate d’un produit commercial capable d’enrayer les déprédateurs, un autre aspect essentiel de la lutte contre les ennemis des cultures résulte de la généralisation des traitements à l’échelle d’une entité climatique et géographique susceptible d’abriter des cultures et des déprédateurs identiques. Pour ce faire, l’organisation collective, constitue l’un des piliers de la généralisation des traitements. Comme nous l’avons souligné à maintes reprises, le non-traitement de quelques champs est susceptible d’entraver la production de secteurs agricoles entiers par le maintien de réservoirs d’infestation. Or, l’obligation de destruction, qui ne concerne que les principaux ennemis des cultures, ne connaît une véritable application que dans les cas où les producteurs s’organisent collectivement. En effet, l’échec de la Loi de ventôse, texte pourtant salué comme efficace dans la Feuille du cultivateur et qui prescrit l’échenillage des arbres1968, demeure un sentiment récurrent dans les écrits agricoles du dix-neuvième siècle. L’organisation collective, telle qu’elle est conçue au vingtième siècle dans les syndicats de défense des cultures, relève d’une volonté extérieure aux agriculteurs. C’est pourquoi, au cours de la décennie 1920-1930, de nombreux débats agitent les animateurs d’une nouvelle structure mise en place par Pierre Viala, la Ligue nationale de lutte contre les ennemis des cultures. Cette dernière souhaite encadrer les organisations collectives susceptibles de se créer spontanément ou grâce à l’action des fonctionnaires du Ministère de l’Agriculture. Mais, si la Ligue souhaite développer les associations d’agriculteurs, le territoire syndical, la pérennité de la structure, ses activités réelles engendrent de multiples discussions. La Loi imposant le regroupement dans le cadre de certaines luttes, il apparaît difficile d’apprécier la volonté et la spontanéité des cultivateurs à développer des organismes de luttes collectives. Si le gouvernement de Vichy tente d’imposer un modèle communal aux organisations syndicales de défense des cultures, et l’Ordonnance de 1945, organisant la protection des végétaux, valide les orientations précédentes. Désormais, le caractère de permanence de ces organismes, leur contrôle par le Ministère de l’Agriculture, l’obligation d’affiliation à une fédération départementale, et leur rôle dévolu dans le cadre de protection des cultures apparaissent clairement dans les textes légaux. Parmi, les possibilités offertes aux groupements, ou aux fédérations, nous pouvons citer la possibilité d’opérer des traitements sans l’assentiment des propriétaires, le monopole d’usage de certains toxiques, et surtout la diffusion des avertissements agricoles. C’est ainsi, que les abonnements aux avertissements, élaborés par les services ministériels, sont souvent payés directement aux fédérations départementales et ce jusqu’au début des années 1970.

La pérennité des structures locales, très aléatoires car créées en fonction des besoins et pour répondre aux attentes des textes légaux, est en réalité souvent assurée par les fédérations départementales qui travaillent en étroite collaboration avec les services extérieurs de la protection des végétaux. La majorité des structures départementales sont affiliées à la FNGPC. Cette dernière, capable d’organiser des manifestations nationales, ou d’aider à la mise en place d’opérations de démonstrations locales, demeurent l’une des structures permettant d’appréhender le travail de vulgarisation spécifiquement lié à la défense des végétaux. Se situant à l’interface entre les préoccupations des praticiens et les organismes industriels et scientifiques, la F.N.G.P.C. s’emploie à diffuser les méthodes de lutte les plus récentes. Son engouement pour la lutte intégrée, par le biais de la participation de certaines fédérations départementales, démontre l’adéquation existant entre les recherches scientifiques et les réalisations de la F.N.G.P.C. De même, la loi de 1966 substituant à la vulgarisation le développement agricole, prenant en compte les aspirations des exploitants, oriente la F.N.G.P.C. vers la mise en place de conseillers agricoles régionaux capables de soutenir les praticiens. En fait, l’histoire des fédérations départementales est chaotique. La plupart des difficultés proviennent d’un manque de financement. C’est ainsi, que si la Loi de 1941 prévoyait la perception d’une taxe parafiscale pour mener à bien les opérations de sauvegarde des récoltes, cette dernière n’augmente jamais et bien au contraire, est supprimée en 1957. Par la suite, des subventions au mérite sont attribuées sur les directives du S.P.V.. Ces dernières, largement insuffisantes et cantonnant les structures départementales à une œuvre de vulgarisations par l’exemple ou de luttes collectives restreintes, disparaissent définitivement dix ans après leur création. En fait l’État considère, que seules les opérations ponctuelles doivent être subventionnées en cas d’invasions particulièrement calamiteuses. Un tel comportement se situe à l’opposé des orientations de l’Ordonnance de 1945 qui prévoit la mise en place d’organes permanents dont l’usage permet de comprendre qu’ils correspondent à un prolongement des actions du SPV en prise directe avec les praticiens.

En résumé, l’évolution des comportements phytosanitaires en France entre le début du siècle et 1970 dépendent de l’interaction entre cinq types de facteurs. En premier lieu interviennent les données d’ordre écologique et climatique. Deuxièmement le politique d’intensification agricole, préoccupation constante au cours de la période étudiée, influe également sur la mise en place de structures spécialisées dans la défense des plantes cultivées. Ces structures spécialisées constituent un troisième élément clef de l’évolution des comportements phytosanitaires. Les industries chimiques en sont le quatrième. Ces dernières profitent de l’intensification de l’agriculture et offrent aux cultivateurs des substances toujours plus nombreuses, et ce, d’autant plus qu’il convient de contourner en permanence les problèmes soulevés par les pesticides chimiques. Enfin, et nous tenons là notre cinquième facteur, la volonté d’obtenir une productivité toujours plus grande assure également, en ce qui concerne le phytosanitaire, l’émergence de nouvelles professions scientifiques -ou la professionnalisation de compétences scientifiques- comme par exemple la zoologie agricole qui profite de la nécessité de la lutte contre les déprédateurs des cultures.

Notes
1968.

Voir par exemple ANONYME, « Effets avantageux de la Loi sur l’échenillage. Avis à tous les cultivateurs et aux autorités constituées des campagnes », n° 23, 22 nivôse, An VI, [ Cet article, très court, se termine ainsi : « Il n’est donc pas douteux que bientôt l’agriculture ne redouteroit plus les ravages de cet insecte destructeur, si, d’une part, les cultivateurs sentoient tout le mérite de la Loi qui leur prescrit une mesure que leur intérêt auroit dû leur dicter, et si, d‘un autre côté, les fonctionnaires publics, chargés de son exécution, la surveilloient avec tout le zèle et la sévérité convenables »].