Introduction

A. La réception d’Ennode et des épistoliers de l’Antiquité tardive

1. Des jugements sévères

En aura-t-on jamais fini avec Ennode de Pavie ? Depuis sa mort, en juillet 521, on célèbre régulièrement1 sa « redécouverte » sans pour autant convaincre définitivement de son intérêt. Il faut bien reconnaître qu’Ennode – que beaucoup continuent d’appeler Ennodius – compte parmi les « épouvantails » de l’Antiquité tardive, ces « rhéteurs ampoulés et vains, sans âme et sans esprit2 ». Dès le XIIe siècle, l’évêque Arnulf de Lisieux s’étonnait qu’on pût lire un auteur dont « l’expression ténébreuse émousse la compréhension3 ». Mais il fallut attendre le XXe siècle pour que se concentre sur son œuvre un feu nourri d’opinions lapidaires : si le Panégyrique de Théodoric ou la Vie d’Epiphane évêque de Pavie ont trouvé grâce aux yeux de quelques historiens intrépides, peu de latinistes4 ont véritablement lu ou apprécié les Opuscula, les Carmina, les Dictiones et surtout les Epistulae dont le contenu était jugé « languissant5 » et « insignifiant6 ». La plupart estimaient qu’« on ne [pouvait] rien déduire de ces lettres superficielles7 ». Il est donc légitime, aujourd’hui, de se demander si la Correspondance d’Ennode mérite d’être lue. Cette question fondamentale soulève plus largement le problème de la valeur littéraire et historique des épîtres latines de l’Antiquité tardive8.

Notes
1.

 Une synthèse de la transmission de son œuvre, dans le premier chapitre, mettra en évidence les phases de « redécouverte » d’Ennode, au IXe s. (durant la renaissance carolingienne), au XIIe (chez les professeurs de rhétorique et les milieux monastiques), à la Renaissance (chez les humanistes), au début du XVIIe s. (chez les Jésuites), à la fin du XIXe s. (dans l’érudition allemande) et, semble-t-il, depuis la fin du XXe siècle.

2.

 Curtius, p. 723 : « À leur nombre appartiennent Fulgence et Ennode ; Sidoine Apollinaire est leur proche parent et Sedulius est leur représentant type ».

3.

 Arnulf de Lisieux, epist. 27 à Henri de Pise, p. 37 éd. F. Barlow, 1939, p. 37 (Camden Third Series 61) : Prima siquidem facie difficilis et obscurus incedit et, cum rerum difficultatem stilus lucidior debeat aperire, intelligentiam potius sermo tenebrosus obtundit ; « Oui vraiment, au premier aspect, se manifeste son expression difficile et obscure et, alors qu’un style plus limpide doit éclaircir la difficulté des sujets, son expression ténébreuse émousse plutôt leur compréhension ».

4.

 Signalons l’exception notable de l’abbé S. Léglise qui, au début du XXe siècle, entreprit une traduction complète de l’œuvre d’Ennode. Sa traduction, qui reste inachevée, est d’une grande utilité pour tous ceux qui abordent cette œuvre (Œuvres complètes de saint Ennodius, I. Lettres, texte latin et traduction française par l’abbé S. L É glise, 1910).

5.

 DACL, VIII. 2, col. 2857.

6.

 Schanz, p. 143.

7.
 C. Pietri, « Aristocratie et société cléricale dans l’Italie chrétienne au temps d’Odoacre et de Théodoric », MEFRA, 93, 1, 1981, p. 458, note 199.
8.

 Signalons les traductions récentes des épîtres de Symmaque, de Sidoine Apollinaire ou d’Avit de Vienne : ces travaux ont été pour nous une source inépuisable de connaissances et d’ardeur tout au long de notre recherche. Citons les principaux : Symm. Lettres, tomes I-IV, texte établi, traduit et commenté par J. P. Callu, CUF, 1972-1982-1995-2002 ; Sidon. Lettres, tome II-III, texte établi, traduit et commenté par A. Loyen, CUF, 1970 ; Avitus of Vienne. Letters and Selected Prose, translated with an introduction and notes by D. Shanzer and I. Wood, 2002 (TTH 38).