La terminologie épistolaire a varié au cours de l’histoire : il semble que les auteurs de l’Antiquité tardive aient employé les termes epistola et litterae comme de véritables synonymes. Cette équivalence nous a incité à ne pas reprendre en français la distinction, canonique mais souvent artificielle, entre « épître » (forme littéraire des correspondances) et « lettre » (forme non-littéraire)9. Dans les deux cas, la notion d’« épître » n’est pas clairement définie : de nombreux manuscrits médiévaux lui donnent une signification extensive en transmettant des lettres, des poèmes et des discours sous la rubrique epistulae 10. Cette incertitude nous conduira à mener une réflexion globale sur le « genre épistolaire », expression que l’on trouve déjà sous la plume d’Ennode11.
On critique souvent la superficialité des correspondances. Mais la difficulté, pour nous, à saisir le sens profond d’une épître tient moins à son insignifiance qu’au caractère allusif de l’expression. Celui-ci s’explique par la brièveté du texte, les contraintes esthétiques ou la prudence des auteurs qui préféraient confier aux porteurs la mission d’expliciter leur courrier. L’étude littéraire d’une correspondance suppose donc une attention scrupuleuse aux allusions les plus discrètes, un décryptage constant et une analyse historique aussi précise que possible de son contexte. Au grief de superficialité s’ajoute l’impression d’oralité que donnent les épîtres qui reconstruisent, il est vrai, une fiction de dialogue. Le sermo épistolaire, qu’Ambroise définit comme une « conversation des absents », pourrait donc souffrir aussi de l’infériorité de l’oral sur l’écrit. Mais les correspondances sont surtout considérées comme un genre « mineur » à cause de leur caractère circonstanciel et de leur diversité qui semblent faire obstacle à l’expression d’une pensée cohérente. Or, en reflétant les activités diverses, les conflits intérieurs et les hésitations d’un auteur, les correspondances sont le lieu de l’élaboration et de la maturation des œuvres majeures. Elles montrent que le cheminement d’une pensée résulte moins d’une théorisation abstraite que de situations de crises au cœur desquelles nous plongent les épîtres plus que tout autre texte. Par exemple, la Correspondance d’Ennode permet de mieux comprendre les motivations et les thèmes de son œuvre la plus célèbre, le Panégyrique de Théodoric.
Nous rejoignons sur ce point l’avis de R. Burnet qui réfute lui-même cette distinction établie par A. Deissmann dans son célèbre ouvrage (Licht vom Osten, 19234) : « aussi proposons-nous de l’abandonner tout à fait, et d’employer « épître » et « lettre » indistinctement » (voir Burnet, p. 28).
Dans les florilèges, les extraits des opuscules, des lettres, des poèmes et des discours d’Ennode, sont toujours présentés comme des extraits d’épîtres (codex Vatican, lat. 3087, XIIIe s, folio 63 : <excerpta> epistularum Enodii incipiunt ; codex Vatican, lat. 1575, XIIe-XIIIe s., folio 76 : incipiunt excerpta epistularum sancti Ennodii ; etc.). D’autres manuscrits plus complets entretiennent cette ambiguïté de genre (codex Vatican, Ottob. lat. 687, IXe-XVe s). Dans ce manuscrit, le folio 13 commence par le titre Ennodii epistularum <excerpta> et, sur ce même folio, une autre main a également écrit en très petits caractères verticaux : Ennodii epistulae. Certains carmina (par exemple, le carm. 1, 6) se concluent même par un Vale qui ne se trouve pas dans les autres copies mais qui contribue à les présenter comme des épîtres.
Ennod. epist. 1, 12, 2 à Avienus : generis epistolaris alloquii.