Si ces remarques générales peuvent s’appliquer à toutes les correspondances, le cas de l’évêque de Pavie est singulier dans la mesure où le « latin d’Ennode » est devenu synonyme d’une langue compliquée à l’extrême. Cette difficulté, à laquelle nous avons été confronté tout au long de notre travail, nous apparaît aujourd’hui comme un des principaux intérêts de cette œuvre. Car pourquoi tant d’efforts, voire de contorsions stylistiques, si Ennode n’avait réellement rien – ou si peu – à dire ? De plus, nous savons que son œuvre a été transmise en partie ou en intégralité par une centaine de manuscrits12. Or pourquoi des érudits du Moyen Âge se seraient-ils intéressés à un auteur inutile ? L’histoire de la réception d’Ennode depuis le VIe s. nous révèle qu’il n’a pas été toujours considéré ainsi.
Le développement des artes dictaminis et la renaissance de l’art épistolaire à partir du XIIe siècle13 révèlent que la Correspondance d’Ennode était perçue comme un modèle épistolaire au même titre que celle de Symmaque ou de Sidoine Apollinaire. Les recueils de citations choisies montrent qu’Ennode figurait aussi parmi les « moralistes » : de nombreux extraits de ses œuvres se retrouvent dans les Flores philosophorum et, plus généralement, dans des recueils de sentences morales14 ou de proverbes monastiques destinés à l’aedificatio sui. Il est plus surprenant de repérer des textes d’Ennode dans des collections pontificales15 destinées à défendre l’autorité du pontife romain. Les recherches sur les collections manuscrites font ainsi ressortir un aspect peu connu de l’œuvre d’Ennode (sa contribution à l’histoire de l’Église) et permettent de mieux comprendre l’intérêt que lui ont porté des figures marquantes de la papauté médiévale du IXe s. au XIIe siècle16.
Cette estimation n’est pas exhaustive. Nos recherches codicologiques ont permis d’ajouter quatre nouveaux florilèges à la liste des quatre-vingt dix-sept manuscrits établie en 2000 (voir Fini et notre chapitre 1, p. 60-62).
J. Leclercq, « Le genre épistolaire au Moyen Âge », Revue du Moyen Âge Latin, 2, 1946, p. 63-70.
Citons l’exemple d’un florilège (codex Rome, Biblioteca Angelica, lat. 720, XIIIe s.) qui porte le titre d’exhortationes morales. Les extraits d’Ennode y sont présentés sous la forme de brèves sentences morales à la suite de citations célèbres de Sénèque, de Pline, de Cicéron, etc.
Voir par exemple chapitre 1, p. 43-44.
Voir chapitre 7, p. 212-213.