Il convient de préciser, avant tout, ce que nous entendons par « collection » : il s’agit du classement organisé d’un ensemble de textes suivant un ou des critères définis à l’avance dans le but d’une transmission de l’œuvre ainsi constituée. Le travail de collection relève d’un processus éditorial qui ne saurait être confondu avec la simple volonté d’un auteur de diffuser ses écrits.
Les épîtres et autres productions d’Ennode manifestent clairement un désir de transmission. Mais un tel souhait n’exprime pas un processus de « publication », du moins telle que nous l’entendons. La lettre reste dans le cadre du groupe auquel il est destiné et la diffusion répond avant tout à un besoin de communication et d’échange, comme le montre l’epist. 9, 13 à Pamphronius : « je vous demande de transmettre sur le champ mes écrits au Seigneur Aviénus et au Seigneur Libérius (…) et de me faire savoir quelle réponse ils m’auront faite46 ».
On pourra objecter, comme l’a écrit H.-I. Marrou, qu’à l’époque patristique « éditer, publier un livre consistait simplement, une fois la décision prise, à fixer définitivement la teneur du texte, à en exécuter ou en faire exécuter une copie soignée et à mettre en circulation cet exemplar-archétype en en autorisant la lecture et la copie47 ». Mais il y a une différence entre le souci d’Ennode de diffuser ses écrits et la Correspondance de Sidoine Apollinaire qui a constitué personnellement le classement des lettres qu’il destinait à l’édition : l’editio 48, comme il dit, se définit par trois critères : 1. la composition d’une œuvre épistolaire, 2. Le travail de révision par un tiers49 et 3. l’autorisation de l’auteur de diffuser l’exemplaire qu’il envoie à ses « éditeurs » Constantius et Firminus. La Correspondance d’Ennode ne contient pas d’indices sur les attentes d’un éditeur ou sur la constitution d’une collection même si quelques textes révèlent un travail de relecture et de révision auquel se livrait Ennode lui-même : la dernière phrase de l’epist. 5, 17 à Aviénus est suivie de la mention « Legi » ; la dict. 21 se termine par l’indication « Ennodius emendaui meam deo meo iuuante ». Le seul indice qui pourrait exprimer le désir d’Ennode de faire circuler la collection de ses œuvres est finalement trop incertain pour être probant : l’epist. 9, 32 au prêtre Adeodatus, qui se trouve à la fin de la Correspondance, accompagne en effet un codex qu’Ennode adresse à son correspondant et à ses proches : « Vous, acceptez l’hommage de mes salutations dans la sainte pureté de votre cœur et renvoyez mon manuscrit que vous recevez avec celui que vous-mêmes vous m’avez promis50 ». Mais qui peut affirmer que le codex qu’Ennode présente comme « sien » rassemble ses propres œuvres ? Cette salutation illustre simplement l’échange et la circulation des livres qui accompagnaient souvent les relations épistolaires, comme en témoignent les correspondances de Sidoine et de Rurice51. En outre, même si le codicem meum évoqué dans l’epist. 9, 32 désignait un ensemble de textes d’Ennode, comment savoir s’il constituait la collection canonique de ses œuvres réalisée par l’auteur lui-même ? De nombreux éléments tendent au contraire à remettre en cause l’idée d’une collection tardo-antique.
Ennod. epist. 9, 13, 2 à Pamphronius : Rogo ut scripta mea, et domno Auieno, et domno Liberio protinus contradatis et (…) ut uos me quid responsi dederint instruatis.
H.-I. Marrou, « La technique de l’édition à l’époque patristique », Vigiliae Christianae, 3, 1949, p. 208-224. H.-I. Marrou répond dans cet article aux travaux du père de Ghellinck et du chanoine Bardy, qui prétendaient qu’à l’époque patristique existait – comme du temps d’Atticus éditant les lettres de Cicéron – une distinction nette entre « les copies privées, qui restent très nombreuses (…) et un mode de publication en quelque sorte officielle » (voir J. de Ghellinck, Patristique et Moyen Age, II, dans Revue du Moyen Age latin, 3, 1974 ; G. Bardy, « copies et éditions au Ve siècle », Revue des Sciences Religieuses, 23, 1949, p. 52).
Sidon. epist. 8, 1, 3, p. 83.
Il s’agit de Petronius (voir Sidon. epist. 8, 16, 1, p. 127).
Ennod. epist. 9, 32, 4 au prêtre Adeodatus : Vos salutationis meae obsequia prosancti pectoris uestri puritate suscipite, et codicem recipientes meum, cum illo qui a uobis promissus est destinate.
La communication épistolaire était en effet une occasion de diffuser des exemplaires d’ouvrages, de demander ou de proposer des copies. Les correspondances de Sidoine Apollinaire et de Rurice contiennent plusieurs exemples de la circulation d’ouvrages : l’epist. 4, 16 de Sidoine répond à l’epist. 1, 8 de Rurice à propos d’un livre destiné à Sidoine et intercepté par Rurice qui voulait en faire une copie ; l’epist. 5, 15 de Sidoine accompagne une copie de plusieurs Livres Saints que Sidoine adresse à Rurice après les avoir révisés ; l’epist. 2, 16 de Rurice demande à un certain Turencius de lui envoyer la Cité de Dieu d’Augustin.