Comme nous l’avons rappelé au début de ce chapitre, les éditeurs d’Ennode ont considéré que le classement des œuvres était globalement chronologique. Cette hypothèse s’accorde avec une datation haute (contemporaine d’Ennode) de la collection puisque seul l’auteur, ou un proche, était en mesure de classer chronologiquement des textes qui sont, pour la plupart, dépourvus de repères chronologiques. La biographie d’Ennode proposée par F. Vogel signale les pièces qui contiennent des éléments de datation manifestes65. Il y en a moins de trente sur un total de quatre-cent soixante-dix, soit 6 % environ, regroupés dans le tableau ci-dessous :
Année | Titre de l’œuvre | N° Vogel d’après mss. |
495 | Dict. in natale Epiphani | op. XLIII |
501/2 | Epist. ad Faustum de consulatu Auieni | op. IX |
501-504 | Vita Epiphani Ticinensis episcopi | op. LXXX |
502 | Dict. quando de Roma rediit post synodum Romanam | op. II |
503 | Libellus apologeticus pro synodo | op. IL |
503 | Praeceptum de cellulanis | op. VIII |
503-506 | Dict. in Laurentium Mediolanensem episcopum | op. I |
506/507 | Epist. ad Faustum quaestorem | op. LXII |
507 | Epist. ad Symmachum papam | op. CDLVIII |
507 | Panegyricus in Theodericum regem | op. CCLXIII |
507/8 | Epist. ad Iulianum comitem patrimonii | op. CXXV |
510 | Epist. ad Boethium consulem | op. ccclxx cdxv |
510/511 | Epist. ad Aurelianum de Aetheria | op. CDXII |
511 | Epist. de epitaphio Cynegiae | op. CCCLXI CCCLXII |
511 | Epist. ad Ambrosium et Beatum | op. CDLII |
511/512 | Epist. ad Liberium Galliae praefectum | op. CDXLVII CDLVII |
512 | Contra turbas ecclesiarum orientalium | op. CDLXIV |
512 | Epist. ad Auienum | op. CDLXIII |
512-513 | Epigramma in honorem Eustorgi | op. CCCLXXIX |
513 | Epitaphium | op. CDLXII |
513 | Epist. ad Caesarium episcopum | op. CDLXI |
Si l’on repère dans ce tableau des groupes d’œuvres contemporaines (année 511 : op. CCCLXI-CCCLXII ; année 513 : CDLXII-CDLXI), le classement de plusieurs textes ne suit visiblement pas la chronologie : par exemple, le carm. 1, 9 (Vogel XLIII), qui célèbre les trente ans de sacerdoce de l’évêque Épiphane de Pavie en 496 et qui est le premier texte datable d’Ennode, est en quarante-troisième position. À l’inverse, le premier texte dans la collection, la Dictio in Laurentium Mediolanensem episcopum, a été écrit après le règlement du schisme laurentien, soit, au plus tôt, après 503. Mais qu’en est-il des 94 % de textes qui ne contiennent pas de repères chronologiques explicites ? Si le style allusif des épîtres ne facilite pas leur datation, nous relevons, une fois encore, des entorses à la chronologie. Par exemple, l’epist. 7, 13 remercie Boèce d’avoir écrit « le premier » (primus) et d’avoir permis une « nouvelle » correspondance (noua res)66. Or, cette épître est la seconde à Boèce suivant l’ordre des manuscrits. Autre exemple, la Vita Antoni est habituellement datée en 506 à cause de sa place dans la collection67. Toutefois, l’allusion à l’illustrissimus uir Seuerinus 68 semble indiquer que ce texte a été écrit après la Vita Severini d’Eugippe, qui date de 51169. Le récit d’Ennode remet lui aussi en cause la datation haute de 506 : « entré à Lérins ‘à un âge avancé’ (iam grandaeuus), Antoine semble avoir largement dépassé les trente ou quarante ans qu’il avait sans doute vers 500-505. Ainsi est-on tenté de repousser la mort du saint et la rédaction de sa biographie jusqu’aux dernières années de la vie d’Ennode (515-520)70 », c’est-à-dire après son accession au siège de Pavie. Ces exemples – que nous pourrions multiplier – confirment une fois de plus que les œuvres ne sont pas toutes classées dans un ordre chronologique. Ce constat n’est pas propre à la Correspondance d’Ennode puisque les épîtres de Rurice et d’Avit – pour s’en tenir aux correspondances contemporaines – ne suivent absolument pas la chronologie. Le cas de Sidoine Apollinaire ressemble davantage à celui d’Ennode car la collection est constituée de sous-ensembles chronologiques contenant des exceptions notables71.
La recherche des principes qui ont présidé à la constitution d’une collection est une tâche difficile comme l’ont constaté I. Wood et D. Shanzer dans leurs travaux sur la Correspondance d’Avit de Vienne : « Reconstructing the order of any ‘original letter-collection’ on the basis of the current manuscript evidence is impossible72 ». Dans le cas d’Ennode, la juxtaposition d’œuvres de genres différents permet d’isoler des petits groupes de textes qui suggèrent, semble-t-il, différents critères de classement.
F. Vogel, p. XXVIII.
Ennod. epist. 7, 13, 3 à Boèce : Vere dedisti pretium loquacitati meae, dum desiderantem colloquia primus aggrederis. Contigit noua res garrulo, ut usque adeo produceretur, donec exigerent scripta responsum.
La composition de la Vita Antoni a été située entre 501 et 509 par C. Tanzi (« La cronologia degli scritti di Magno Felice Ennodio », Archeografo Triestino, 15, 1890, p. 339-412), entre 504 et 509 par F. Magani (Ennodio, II, Pavia, 1886, p. 151) et, plus précisément, en 506 par J. Sundwall (Abhandlungen zur Geschichte des ausgehenden Römertums, Helsingfors, 1919, p. 38). La date de 506 est désormais communément admise (F. Lotter, « Antonius von Lérins und der Untergang Ufernorikums », Historische Zeitschrift, 1971, 212, p. 292 sq. ; C. Rohr, « Ergänzung oder Widerspruch ? Severin und das spätantike Noricum in der Vita Antonii des Ennodius », Eugippius und Severin, 2001, p. 115 sq.).
Ennod. Vita Antoni, opusc. 4, 9.
Voir Eugipp. Vie de saint Séverin, introduction de P. RÉgerat, 1991, p. 16 (SC 374).
A. de Vogüé, Histoire littéraire du mouvement monastique dans l’Antiquité, 8, 2003, p. 199-200. A. de Vogüé rejoint, sans le citer, le point de vue de P. Buzzetti (Vita di Sant’Antonio Lerinese, 1904, p. 9).
Par exemple, « les livres IV et V contiennent plusieurs lettres qu’on ne peut dater que de 476-77, mais presque toutes les lettres du livre VI sont antérieures à 474. Quant au dernier livre, le livre VII, il contient plusieurs lettres tardives, datées de 476 ou 477, mais aussi bon nombre d’exemplaires bien antérieurs à cette date » (Sidon. p. XLVII).
Avitus of Vienne. Letters and Selected Prose, translated with an introduction and notes by D. Shanzer and I. Wood, 2001, p. 44 (TTH 38).