d) La dévalorisation d’Ennode à partir du XIIe

1. La correspondance d’un évêque et d’un légat pontifical en 1160

La première critique connue est celle de l’évêque Arnoul de Lisieux (vers 1109-1182) qui vécut à une période où, nous l’avons vu, l’œuvre d’Ennode connut une nouvelle diffusion. Constructeur de la cathédrale de Lisieux, Arnoul était connu pour ses compétences juridiques et diplomatiques : il avait rempli, par exemple, un rôle de premier plan dans les tentatives de conciliation entre le roi d’Angleterre Henri II et Thomas Becket dans le conflit sur l’immunité devant les tribunaux définie par le droit canon. Il était également un lettré reconnu, auteur de carmina et d’une abondante correspondance qui illustre son implication dans les affaires politiques de son temps141. L’une de ses épîtres fut écrite durant l’été 1160 au légat pontifical Henri de Pise, Cistercien et cardinal-prêtre de la Basilique des Sts-Nérée-et-Achillée. Henri était arrivé en France en février où il résida à Vézelay et probablement à l’abbaye cistercienne de Fontenay142. Le but de son séjour était essentiellement politique : après une intense activité diplomatique en Italie, le légat du pape Alexandre III multipliait les contacts en vue du synode de Londres à l’occasion duquel l’Église anglaise devait prendre parti dans le schisme entre Alexandre III et son rival Victor IV soutenu par l’empereur Barberousse. Au moment où Henri arriva en France, en février 1160, l’empereur réunit, de sa propre autorité, à Pavie, un concile qui proclama la légitimité de Victor. Dans ce contexte, la lettre d’Arnoul de Lisieux, qui est en réalité une réponse, permet de reconstituer la requête d’Henri qui avait voulu s’assurer de la fidélité d’Arnoul et lui avait demandé… un exemplaire d’Ennode de Pavie ! Le lien entre ces deux éléments est moins surprenant qu’il n’y paraît : Ennode avait lui-même participé au règlement d’un schisme entre deux papes rivaux, Symmaque et Laurent, qui incarnaient deux conceptions différentes du siège romain. Henri avait donc probablement entendu parler d’Ennode dans les milieux pontificaux qui, comme nous l’avons dit plus haut, célébraient, depuis le IXe s., son engagement en faveur de l’autorité pontificale143. Toutefois, le contenu de la réponse d’Arnoul ne manque pas de surprendre.

Notes
141.

The Letters of Arnulf of Lisieux, éd. F. Barlow, op. cit.

142.

Sur l’ambassade du « cardinal cistercien Henri » en France en 1160, voir P. Classen, « Aus der Werkstatt Gerhochs von Reichersberg », Deutsches Archiv, 1967, p. 52-53.

143.

Cette explication nous paraît plus crédible que les vagues hypothèses avancées par R. H. et M. A. Rouse : « Perhaps Henry had heard of Ennodius through his Cistercian connections at Fontenay ; or perhaps, instead, he had come across the name, and copious extracts from text, of Ennodius in the Florilegium Angelicum at the court of Alexander III, its presumed dedicatee » (« Ennodius in the Middle Ages », art. cit., p. 108).