La Renaissance a été déterminante dans la définition des normes du goût, notamment littéraire, dont nous sommes tributaires. La redécouverte des classiques se traduisit en effet par la volonté de fixer, à partir de leurs œuvres, les règles d’une langue idéale qu’illustre encore notre thème latin. Le concept dévalorisant de « bas-latin » – le latin corrompu, celui des solécismes – est en germe à la Renaissance comme en témoigne une lettre de l’humaniste Coluccio Salutati157, datée du 24 février 1393 : cherchant à dater l’apparition du pluriel de politesse, ce dernier constate que l’usage est inconnu des auteurs classiques mais qu’il apparaît, quelques siècles plus tard, notamment chez Ennode158, de façon sporadique : « je pense que cette vanité a commencé non pas avec le dictateur César, mais plusieurs siècles après ; quand ? Je l’ignore. En effet, jusqu’à l’époque de Valentinien (…), l’usage antique s’est maintenu très strictement. Après ce temps-là, les histoires sont rares pour les auteurs célèbres, comme nous le voyons. Bien que, parmi d’autres auteurs dont la parole est limée, je trouve qu’Ennode a utilisé ce genre d’expression corrompue, dans peu de cas, certes, mais dans quelques cas (…), pourtant, à peu près à la même époque, Sidoine et d’autres n’ont pas abandonné l’excellent usage de l’Antiquité159 ». A partir du XIVe siècle, les manuscrits d’Ennode, qui sont relativement peu nombreux, témoignent des lectures critiques que les humanistes faisaient des auteurs précieux de l’Antiquité tardive160.
Rattachées à la famille du « Vaticanus », ces copies, souvent incomplètes, ne proposent pas de variantes susceptibles d’améliorer l’édition de F. Vogel. Toutefois, deux d’entre elles méritent une attention particulière dans la mesure où elles contiennent presque la totalité de l’œuvre d’Ennode :
La totalité des quatre-vingt neuf feuillets contient des œuvres d’Ennode : amputé de ces deux premiers feuillets, le manuscrit commence avec le carm. 1, 6, vers 29 sq. (Vogel II). Un premier ensemble (1r-60v) reproduit fidèlement l’ordre du codex uaticanus jusqu’au carm. 1, 3 (Vogel CCLXII) et contient donc l’intégralité des livres I et II de la Correspondance. Une deuxième partie (61r-62r) est constituée d’un choix de textes classés suivant un critère indéfini : epist. 9, 1 ; epist. 9, 6; epist. 6, 31 ; epist. 6, 24 ; epist. 3, 5 ; epist. 4, 16 ; epist. 4, 19 ; epist. 4, 25 ; epist. 4, 31 et epist. 4, 32. Un dernier ensemble (62r-89v) suit à nouveau l’ordre du codex « Vaticanus », de l’epist. 6, 34 à l’epist. 9, 35. Les origines de ce manuscrit sont mal connues jusqu’à son arrivée dans la bibliothèque de la Reine Christine de Suède au XVIIe s. qui devint la possession du Cardinal Decio Azzolini à la mort de la Reine. Une indication manuscrite161 prouve qu’il ne provient pas des fonds de Paul et Alexandre Petau, contrairement à une grande partie de la bibliothèque de la Reine. Si l’histoire de ce codex reste en partie mystérieuse, il joua probablement un rôle direct dans la réalisation du manuscrit de Vienne.
Les soixante-dix feuillets de ce témoin transmettent une grande partie de l’œuvre d’Ennode dont les livres I et II de la Correspondance. Le codex commence par un texte très bref d’Adalbert Ranconis de Ericino (fol. 70v) et se termine par une notice historique sur les rois de Bohème (fol. 70v). J. J. Grynaeus se fonda essentiellement sur cette source pour réaliser, en 1569, l’édition princeps d’Ennode (b) qui reproduit parfois servilement P. Le manuscrit fut en la possession de W. Lazius au milieu du XVIe s., comme l’atteste la signature de l’historiographe de la cour de Vienne162. La collation des témoins met en évidence plusieurs points communs entre cette copie et le manuscrit du Vatican (Reg. Lat. 129 = C) : l’explicit de P « Liber Eunodii de sentencii » (fol. 70r) est très proche de celui de C « Liber Ennodii de sentenciis » (fol. 89v). En outre, le manuscrit de Vienne reproduit plusieurs leçons caractéristiques de P, qui dérive probablement de T 163 :
epist. 1, 8, 2 arce VLDOarche B | arte TCP |
epist. 2, 20, 1 : res crepera BVLDA | recia parat TCP |
epist. 1, 12, 1 silentio BVLDATO | a silentio CP |
epist. 1, 4, 8 mulcare BVLDATO | multare CP |
epist. 1, 12, 1 silentio BVLDATO | a silentio CP |
epist. 1, 13, 1 conseruatione BVLDT | conuersatione AOCP |
epist. 1, 16, 3 Varronis BVLTDAT | Maronis CP 2 |
epist. 1, 24, 3 frequenter BVLDAET | om. CP |
epist. 1, 26, 1 titubare BVLDAET | turbare CP |
Le manuscrit de Vienne constitue une exception dans la transmission d’Ennode à la Renaissance : en effet, les autres témoins humanistiques ne contiennent que des extraits ou une sélection d’œuvres, rappelant que les recueils d’extraits ont rempli une fonction essentielle dans la transmission de la Correspondance.
B. L. Ullman, The Humanism of Coluccio Salutati, « Medievo e umanesimo, 4 », 1963, p. 53-70 : « The defense of classical literature ».
Coluccio Salutati demanda un manuscrit d’Ennode à Bernardo da Moglio en 1385 (epist. 6, 3 a Bernardo da Moglio, Fonti per la Storia d’Italia, 16. 2, a cura di F. Novati, 1893, p. 142 : nunc autem habui repertorium bibliothece paterne. Id quod ante omnia uolo Sidonius, Ennodius et Symmachus sunt). Ce codex, qui se trouve aujourd’hui à Florence (Biblioteca Nazionale, Conventi Soppresse, J. VI. 29, XVe s.), fut ensuite la propriété de Côme de Medicis (B. L. Ullman, The Humanism of Coluccio Salutati, op. cit., p. 173 et 266).
Coluccio Salutati, epist. 8, 11 al medesimo, Iohanni de Ravenna Conversano, p. 418-419 : non puto quod hec uanitas inceperit cum Cesare dictatore, sed post plura secula ; quando tamen ignoro. Nam et usque in Valentiniani tempora (…) pertinacissime uetustatis mos permansit. Post quod tempus rare sunt celebribus auctoribus, ut uidemus, hystorie ; licet inter alios exculti oris Ennodium inueniam hoc locutionis corrupte genus, quanuis in paucis, tamen in aliquibus obseruasse (…) circa que tamen tempora Sidonius et alii optimum antiquitatis morem non deseruerunt.
Voir R. H. et M. A. Rouse, « Ennodius in the Middle Ages », art. cit., p. 110-112.
Voir J. Bignami Odier, Le fonds de la Reine à la Bibliothèque Vaticane, 1962, p. 163 (Studi e testi 219) : le folio 1r porte l’indication « Nu° 38 n(on) Pet(auianum) ».
Le manuscrit porte l’ex-libris « C » qui est la signature de Lazius.
Voir F. Vogel, p. XLII.