f) Les recueils d’excerpta et les florilèges

L’histoire des témoins partiels est déterminante pour apprécier la réception de l’Antiquité au Moyen Âge164. La transmission manuscrite d’Ennode confirme, par exemple, que celui-ci était connu davantage par des abrégés de formes diverses (recueils d’extraits, de sentences, florilèges, compendium…) que par les manuscrits complets165. Une trentaine de florilèges médiévaux et humanistiques, contenant des extraits d’Ennode, ont ainsi été recensés jusqu’à présent. Ils constituent des documents de première importance, moins pour l’établissement du texte que pour la réception et la compréhension de cette œuvre. Ils rassemblent les extraits qui ont paru suffisamment intéressants pour être diffusés et révèlent les raisons pour lesquelles Ennode a suscité l’intérêt d’érudits et de religieux du Moyen Âge. L’étude de la transmission d’Ennode dans les recueils d’excerpta et dans les collections médiévales met ainsi en évidence l’importance de la réception d’Ennode au Moyen Âge. Mais la liste des florilèges est loin d’être exhaustive. Nos recherches nous ont permis d’en ajouter quatre autres à la liste établie en 2000 par C. Fini.

Nous avons déjà étudié l’exemple du recueil pour les Vigiles des défunts (Paris, Bibliothèque Nationale, lat. 2833 A, IX/Xe s.). D’autres florilèges peuvent être encore recensés. Certains recueils contiennent en effet des excerpta qui ne sont pas signalés dans les catalogues. Les trois florilèges qui suivent rassemblent des citations du Florilegium Angelicum 166 dont ils constituent des versions abrégées. Ils doivent donc être ajoutés à la liste des vingt manuscrits167 qui transmettent en partie ou en intégralité le Florilegium Angelicum. Ce florilège, qui doit son nom à la Biblioteca Angelica de Rome, contient168 des extraits de discours et de correspondances collectés en France dans la seconde moitié du XIIe siècle169.

L’étude d’A.-M. Turcan-Verkerk sur Les manuscrits de la Charité, Cheminon, et Montier-en-Argonne 170 signale par exemple un « florilège s’inspirant d’auteurs classiques et d’auteurs chrétiens, citant Ennode de Pavie171 » : le codex Paris, BNF, lat. 2695-I, début XIIIe siècle172. Le catalogue de la Bibliothèque Nationale de France qui décrit ce florilège patristique indique la présence de « séries de sentences anonymes relatives à la vie ascétique ou monastique » aux folios 20-26v et 87-88v où les extraits de la Correspondance d’Ennode alternent avec des citations de Sénèque (Epistulae, De clementia, De remediis fortuitorum), Martin de Braga (Formula honestae uitae), etc.

L’organisation de ces Flores Philosophorum rappelle beaucoup celle du codex 720 de la Biblioteca Angelica qui classe les citations par thèmes et non pas par auteurs ou par genres. Ce manuscrit de quatre-vingt-dix-neuf feuillets contient de brèves citations d’Ennode (fols. 1r-6v) présentées sous la forme de sentences morales à la suite de citations de Sénèque, de Pline, de Cicéron, etc. Ce florilège d’exhortations morales, qui reprend des citations du Florilegium Angelicum, confirme qu’Ennode a pu passer pour un moraliste au Moyen Âge. Le caractère fragmentaire et simplifié des excerpta ne permet pas d’en faire usage pour l’édition critique.

Ce manuscrit hétérogène rassemble des cahiers de formats différents (fols. 1-90r). Les feuillets 75r à 83v contiennent un florilège de citations empruntées aux œuvres de Macrobe, Jérôme, Apulée, Pline, Sidoine Apollinaire, Sénèque, Aulu-Gelle, Cicéron, Caton, Ennode et Plaute. L’identification des extraits montre qu’il s’agit d’un condensé du Florilegium Angelicum. Les excerpta d’Ennode, issus des épîtres, des opuscules, des discours et des poèmes, se trouvent aux feuillets 78v B-79r A.

L’examen critique des copies que nous avons utilisées pour l’établissement du texte permet d’établir un stemma (voir page suivante) qui reproduit en partie celui des éditeurs précédents mais tient compte, d’une part, de l’hypothèse d’une collection médiévale et, d’autre part, des témoins qui n’avaient pas encore été collationnés pour l’édition de la Correspondance (en gras).

Stemma des manuscrits utilisés pour l’édition critique

Les témoins de la Correspondance, qui correspondent à des périodes de redécouverte de la littérature tardo-antique, montrent la diversité de la réception d’Ennode au Moyen Âge. Ils révèlent aussi que cette œuvre était connue davantage par les recueils de textes ou d’extraits choisis que par des manuscrits complets beaucoup moins nombreux. Un rapide survol des éditions d’Ennode, depuis le XVIe siècle, met également en lumière différentes phases d’intérêt pour l’évêque de Pavie.

Notes
164.

Recensant les nombreux extraits de Sénèque dans les trois grands florilèges qui ont connu une diffusion importante (le Florilegium Angelicum, le Florilegium Gallicum et le Florilegium Duacense), Birger Munk Olsen a montré par exemple que les florilèges et les abrégés étaient un mode de diffusion privilégié pour les épîtres de Sénèque au XIIe siècle (B. Munk Olsen, « Les florilèges et les abrégés de Sénèque au Moyen Âge », Giornale italiano di Filologia, 52, 2000 p.163-183). Jean-Pierre Callu a également constaté l’importance de ces témoins partiels pour la Correspondance de Symmaque, l’un des modèles d’Ennode. Il précise, dans son édition des lettres de Symmaque, que « les compléments qu’[il] souhaite apporter concernent principalement les florilèges » (Symm. Lettres, I, p. 35).

165.

R. H. et M. A. Rouse, « Ennodius in the Middle Ages », art. cit., p. 107: « from this text, too difficult to be read as a whole yet interesting for style, energetic compilers snipped out the useful portions and assembled them with cuttings from other texts in florilegia ».

166.

R. H. et M. A. Rouse, « The Florilegium Angelicum », art. cit., p. 66 : « The Florilegium Angelicum is a collection of extracts from ancient and patristic orations and epistles compiled in France during the second half of the twelfth century »; p. 93 : « The Florilegium Angelicum is a window through which we can observe a stage in the transmission of several classical texts. It documents the influence of ninth-century Carolingian libraries on a twelfth-century cathedral school ».

167.

H. R. et M. A. Rouse signalent initialement dix-sept manuscrits auxquels ils ajoutent eux-mêmes en annexe trois autres manuscrits découverts après la rédaction de l’article (p. 455). Voir aussi le compte rendu d’H. Silvestre, Scriptorium, XXXIII, 1979, n. 2, p. 177*-178*.

168.

 On y trouve notamment des extraits de Macrobe, de Jérôme, de Grégoire le Grand, d’Apulée, de Pline le Jeune, de Cicéron, de Sidoine Apollinaire, de Sénèque, d’Aulu-Gelle, d’Ennode, de Martin de Braga, etc.

169.

 À titre d’exemple, nous avons reproduit en annexe (p. 423-428) la totalité des sentences extraites des livres I et II d’Ennode qui se trouvent dans l’une des trois copies complètes du Florilegium Angelicum (codex Vatican, Biblioteca Apostolica, Reg. Lat. 1575, XII/XIIIe s., fols. 63r-100v). Les extraits d’Ennode (folios 76r-78r : voir planche 5, p. 422) sont introduits par le titre « incipiunt excerpta epistularum sancti ennodii ».

170.

 A.-M. Turcan-Verkerk, Les manuscrits de la Charité, Cheminon, et Montier-en-Argonne. Collections cisterciennes et voies de transmission des textes (IX e -XIX e siècles), 2000.

171.

 Id., p. 263.

172.

 Voir aussi Id., p. 128 : « le contenu de ce manuscrit [le codex Paris, BNF, 2695-I] l’apparente de très près à un manuscrit aujourd’hui détruit de Cheminon, Vitry-le-François BM 11, et de façon plus lâche au manuscrit 1276 de la Casanatense, provenant probablement de Montier, Cheminon ou d’un établissement proche ».