Nous avons vu que plusieurs témoins, découverts après l’édition de F. Vogel, complétaient notre connaissance de la transmission manuscrite. L’un d’eux contient la totalité des livres I et II de la Correspondance (León, Biblioteca de la catedral, 33, XIIe siècle = D), un second en rapporte une grande partie (Londres, British Library, Royal 8 E. IV, XII/XIIIe siècle = A) et les autres sont des recueils ou des florilèges, du IXe au XIIIe siècle, qui étaient inconnus jusqu’ici ou n’avaient pas été pris en compte par les éditeurs d’Ennode. Si leur collation ne bouleverse pas le texte établi par F. Vogel, elle apporte des éléments nouveaux qui l’améliore sur des difficultés que nous discuterons chemin faisant : à cet égard, les extraits contenus dans les Fausses Décrétales du Pseudo-Isidore (Pi) et le recueil pour les Vigiles des défunts (F), qui dérivent de copies antérieures à B et à V, sont des témoins essentiels. Ils illustrent l’intérêt des manuscrits partiels pour l’établissement des textes. Toutefois, la qualité de l’édition des MGH et la difficulté du texte, trop souvent amendé, nous ont incité à limiter les modifications à des problèmes précis et à proposer finalement une édition conservatrice179.
L’analyse codicologique a néanmoins facilité notre lecture de la Correspondance en révélant les différents points de vue portés sur cette œuvre au cours des siècles. Elle nous a permis de constater les multiples liens de causalité entre la transmission de cette œuvre d’Ennode et les besoins de l’histoire. Ainsi la multiplication des manuscrits épistolaires et l’essor de l’ars dictaminis au XIIe siècle s’expliquent-ils, nous l’avons vu, par l’évolution des pratiques de l’écrit au sein des chancelleries, par le besoin de disposer de modèles de lettres et par les conflits schismatiques liés au pouvoir pontifical. Enfin, si les travaux sur Ennode, à partir de la fin du XVIe s., s’inscrivent dans le cadre des lectures patristiques de la Contre-Réforme, le regain d’intérêt pour l’évêque de Pavie, à la fin du XIXe s., répond aussi à des attentes précises : les éditions allemandes de la fin du XIXe siècle sont contemporaines de l’essor du nationalisme prussien qui se nourrissait, entre autres, du passé ostrogothique dont Ennode avait été l’un des panégyristes ; à la même époque, l’enthousiasme du Père S. Léglise pour l’évêque de Pavie, grand défenseur du pouvoir pontifical, s’explique, comme il l’écrit lui-même, par la volonté de rendre hommage au pape Léon XIII dans son effort pour entretenir le prestige et l’autorité du siège romain180.
Mais peut-on épuiser ainsi les causes de la transmission d’une œuvre ? Peut-on déterminer totalement les raisons pour lesquelles un auteur ou une période suscite un engouement à un moment donné ? Ces questions, n’en doutons pas, seront une nouvelles fois posées le jour où l’on s’interrogera sur la multiplication des travaux sur Ennode depuis quelques années. La surabondance des études sur les auteurs classiques explique en partie, par réaction, l’intérêt croissant pour des temps moins courus. Mais il s’agit moins d’une question de modes que d’un besoin. Les études philologiques continuent de mettre en lumière des sources fondamentales pour l’étude de l’Antiquité tardive et du haut Moyen Âge.
Pour conclure, l’histoire de la collection des œuvres d’Ennode et la synthèse de sa transmission nous éclairent sur plusieurs points fondamentaux pour l’étude de la Correspondance.
Le texte et la traduction des livres I et II seront précédés d’une introduction qui exposera les principes suivis par notre édition (orthographica, conspectus siglorum, apparat critique), proposera la liste des manuscrits ennodiens et présentera les variantes que nous apportons (voir « Prolégomènes », p. 278-292).
S. L É glise, « Saint Ennodius et la suprématie pontificale au VIe s. (499-503) », art. cit., p. 220 : « À l’occasion des Noces d’or de Sa Sainteté Léon XIII, en témoignage de notre foi et de notre filial dévouement au Vicaire de Jésus-Christ, nous avons entrepris ce modeste travail. On y verra qu’au commencement du VIe siècle, le dogme de la suprématie absolue du pontife romain était tenu de tradition et faisait loi dans tout l’Occident ».