3. Ennode par lui-même

L’œuvre d’Ennode étant la source principale de nos connaissances, ce que nous savons de lui dépend en grande partie de ce qu’il a bien voulu révéler ou taire mais aussi de la manière dont il l’a exprimé. Or, on constate une volonté de construire et diffuser une certaine image de lui-même. Le meilleur exemple en est son autobiographie inachevée, l’Eucharisticum de uita sua (opusc. 5). Le modèle augustinien, nous l’avons dit, est manifeste dans ce texte où Ennode prétend avoir vécu plusieurs expériences célèbres des Confessions (la maladie, la guérison miraculeuse, la conversion…) et où il se forge une image ressemblant à celle de l’évêque d’Hippone. La représentation de soi est parfois plus discrète, dans son œuvre, comme le montre l’acrostiche que nous avons repéré dans les quatre derniers vers du carm. 1, 9 :

En statui quodcumque tibi nunc scalpere carmen
Nodoso sub iure, pater, quod nexuit artis
Diuersa sub sorte modis lex proxima poenae.
Vsquam ne fallax nutaret syllaba. Dixi188.’

La Correspondance apparaît également comme une sorte de miroir et un moyen privilégié de faire valoir une certaine image de sa personnalité au sein des élites. Ambition d’autant plus manifeste qu’Ennode demande à ses correspondants de diffuser ses lettres : « je vous demande de transmettre sur le champ mes écrits au Seigneur Avienus et au Seigneur Liberius (…)189 ».

Cette volonté de représentation nous incite à la prudence dans l’analyse des éléments que nous allons étudier : jusqu’où faut-il croire Ennode lorsqu’il parle de lui-même, lorsqu’il confie ses états d’âme au lecteur en insistant sur sa sincérité ? « Je dis la chose sans la couleur du moindre fard, sans la peindre d’aucun nuage trompeur car je ne suis pas habile à simuler 190  ». La question de la sincérité n’est pas anecdotique dans cette Correspondance. Si les épîtres ne doivent pas être interprétées a priori comme un reflet exact d’une réalité « objective », elles n’en sont pas moins la source d’un témoignage authentique. En outre, la sincérité ne se réduit pas à un lieu commun de l’écriture épistolaire : combien de fois, en effet, Ennode insiste-t-il sur la nécessité de tenir – enfin ! – un discours sincère dans les lettres familières (familiares paginas) qu’il distingue des autres types de lettres. « Dans les correspondances familières », écrit-il à Jean, « il faut taire les qualités des amis et non les exprimer pour ne pas tant alourdir nos consciences en rendant la louange avec des phrases creuses191 ». Loin de se réduire à l’expression d’une sincérité formelle, les « lettres familières » sont le lieu de la direction spirituelle et de l’édification morale. Elles contiennent parfois des témoignages de premier ordre sur la vie et les activités d’Ennode.

Notes
188.

Ennod. carm. 1, 9, vers 167-170. La présence de cet acrostiche est loin d’être anecdotique dans ce long poème qui célèbre le trentième anniversaire de sacerdoce de l’évêque de Pavie Épiphane, le modèle épiscopal d’Ennode.

189.

Epist. 9, 13, 2 à Panfronius : rogo, ut scripta mea et domno Auieno et domno Liberio protinus contradatis (…).

190.

Epist. 1, 3, 7 à Faustus : rem fateor nullis coloratam fucis, nullis nebularum depictam mendaciis, quia non sum simulandi artifex.

191.

Epist. 1, 10, 1 à Jean : amantium enim ornamenta inter familiares paginas retinenda sunt, non loquenda, ne tantum conscientias nostras uacuis sensibus relatione laudis oneremus.