La biographie d’Ennode a déjà suscité plusieurs exposés192. Nous nous contenterons donc de rappeler les principales étapes de sa vie en renvoyant aux travaux existants. Nous analyserons plus longuement les points sur lesquels la Correspondance apporte un éclairage nouveau.
Ennode, né à Arles vers 473, est issu d’une grande famille de l’aristocratie consulaire, les Magni Felices. Son ascendance précise est trop incertaine pour être présentée en quelques mots. Nous lui consacrerons un développement particulier au chapitre 5. La date de naissance (vers 473) se déduit d’une indication donnée dans l’Eucharisticum : Ennode avait « environ seize ans193 » à l’arrivée de Théodoric en Italie, c’est-à-dire durant l’été 489. Orphelin de bonne heure, il vécut une grande partie de sa jeunesse auprès de sa tante en Italie du Nord. Mais loin de sa Provence natale, Ennode ne renie jamais ses origines gauloises même s’il lui arrive d’en jouer, comme lorsqu’il prie son ami Florus, après l’avoir froissé, de garder le silence devant un simple Gaulois : « que se mesure avec toi celui qui sort des rangs de la Curie : mais en face d’un Gaulois de souche, tais-toi donc !194 ». Mais il n’y a là aucune dévalorisation sérieuse de ses origines. Au contraire, les correspondances avec ses proches, notamment avec sa sœur Euprepia restée en Provence, laissent percer, quelquefois, des airs de nostalgie : « [mon âme] a pris demeure à Arles, tandis que j’étais enfermé dans les murs de Milan ; alors que mon esprit libre s’échappait vers les douceurs de votre résidence, mon corps prisonnier me retenait en Italie195 ».
Nous savons très peu de choses sur son éducation en Italie. En l’absence de remarques sur d’éventuels déplacements durant sa jeunesse, Vogel pense qu’il est inutile d’imaginer qu’il se rendit à Milan, où il aurait pu suivre les leçons du grammaticus Deuterius. Ecartant lui aussi cette hypothèse, P. Riché évoque une épître d’Ennode pour supposer qu’« un certain Servilio semble avoir été son maître196 ». Mais d’après l’epist. 5, 14, ce dernier fut seulement le maître d’Ennode en matière religieuse : « envahi par l’amour de ta sainteté, (…) je souhaite la présence de mon précepteur afin que tu ne penses pas avoir confié à un fils dégénéré la semence ecclésiastique197 ». Rien n’indique que Servilio dispensa un enseignement littéraire au jeune Ennode. En revanche, l’épître à Deuterius, le grammaticus de Milan, met en évidence une réelle complicité entre les deux hommes. Dans ce petit texte empreint d’admiration et de respect, Ennode cherche par tous les moyens à réconforter son correspondant qui, dans l’épreuve de la maladie, lui avait reproché de ne pas venir le voir plus souvent : « Tes regards, je te le demande, sont-il émoussés par le nuage de la douleur, quand tes vers sont si brillants ? Et toi dont le langage est lumière, tu te plains de la vue ? Combien je crains de paraître louer chichement tes mérites ! Il est juste de te reconnaître la faculté de donner des yeux à tous et d’illuminer les ténèbres de nos esprits d’une splendeur qui leur est étrangère. Crois-tu donc que ce que tu accordes aux autres ne soit pas efficace pour toi ? Chasse de ton cœur, je te prie, les soucis conçus par une inquiétude ou une précaution peut-être superflues. Dieu te donnera que toute nouvelle faiblesse de ton corps soit en échange purifiée par l’éclat serein de ton âme resplendissante198 ». Dans ces lignes, Ennode exprime une attention particulière pour Deuterius qui reçut également Lupicinus, le neveu d’Ennode, dans son auditorium 199. Si l’on ne peut en conclure qu’il fut l’élève de Deuterius, Ennode garde un souvenir ému de ses années de formation et regrette parfois d’être « éloigné de l’enseignement des écoles200 », relais fondamental de la latinité201.
Les années de jeunesse d’Ennode sont assez banales pour un jeune homme issu de l’aristocratie provinciale. Toutefois, on est frappé par le sentiment de solitude qu’il ressentit à la disparition de sa tante, en 490, peu après l’entrée fracassante de Théodoric en Italie202 : « Moi, vers seize ans, dans cette tempête, je fus privé des consolations de la tante qui m’avait nourri. Je restai seul, dépourvu de ressource et privé de conseil (…)203 ». Il convient, bien entendu, d’interpréter ce sentiment d’abandon avec prudence dans la mesure où ce récit donne plus d’éclat à sa vie postérieure. Mais la construction littéraire de son autobiographie ne doit pas susciter un doute systématique sur les épreuves de sa jeunesse. Celles-ci ont sans doute nourri un désir de revanche qui n’est pas étranger à son insatiable activité et à ses ambitions.
On lira une biographie détaillée d’Ennode dans PCBE II, p. 620-632.
Ennod. opusc. 5, 20 : Tempore quo Italiam optatissimus Theoderici regis resuscitauit ingressus, (…), ego annorum ferme sedecim (…).
Epist. 1, 2, 4 à Florus : Tecum decertet de mediis curiae sinibus eductus : circa Gallum prosapia conticisce.
Epist. 7, 8, 2 à Euprepia : Habuit Arelatensis habitatio, cum Mediolanensibus muris includerer : et dum ad dulcem sedem libertas mentis excurreret, intra Italiam me corporis captiuitas includebat.
RichÉ, p. 410, note 44.
Ennod. epist. 5, 14, 1 à Servilio : sanctitatis tuae adfectione possessus, (…) uultum praeceptoris expecto, ne degeneri te credas ecclesiasticum germen filio commisisse.
Epist. 1, 19, 3-4 à Deuterius : Tua, quaeso, lumina nube doloris hebetantur, cuius tam clara sunt carmina ? Et qui lucem loqueris, de uisione causaris ? Quam timeo ne parcus in meritis tuis laudator inueniar ! Tibi recte adscribitur cunctis dare oculos et obscura mentium peregrino splendore radiare. Ergo putas tibi ualidum non esse quod tribuis ? Pelle, quaeso, animo curas superflua forsitan sollicitudine aut cautione conceptas. Dabit Deus, ut quidquid corporalis adcessit incommodi, uice animae tuae per sudum rutilantis nitore mundetur.
Dict. 8, praefatio dicta Lupicino quando in auditorio traditus est Deuterio.
Epist. 2, 7, 3 à Firminus : nos ab scolarum gymnasiis sequestrati.
Epist. 1, 5, 9 à Faustus ; epist. 2, 6, 5 à Pomerius.
Le récit de l’Eucharisticum exprime la violence de cet événement qui, si l’on en croit Ennode, répond à son désir le plus cher. On voit poindre dans ces lignes le futur panégyriste de Théodoric (voir opusc. 5, 20 : « à l’époque où l’Italie ressuscita grâce à l’entrée tant souhaitée du roi Théodoric, alors que ses ennemis dévastaient tout dans des combats inénarrables et que, ce qui avait survécu aux glaives, périssait par la faim… » ; tempore quo Italiam optatissimus Theoderici regis resuscitauit ingressus, cum omnia ab inimicis ejus inexplicabili clade uastarentur, et quod superesset gladiis, fames necaret…).
Opusc. 5, 20-21 : ego annorum ferme sedecim amitae, quae me aluerat, ea tempestate solacio priuatus sum. Remansi solus, inops re et consilio destitutus (…).