4. Le choix de l’Église : une rupture ?

Nous tenterons tout au long de notre étude de montrer la cohérence des activités (sociales, littéraires, religieuses) que reflètent les épîtres. Ennode nous livre lui-même un élément global d’interprétation qui pourrait orienter d’emblée notre recherche : il fait référence à deux périodes bien différentes de sa vie. Il oppose nettement un « avant » à un « présent », suggérant l’idée d’une rupture qui se serait traduite par un renoncement à la culture profane et par le choix de la cléricature : « (…) il y a longtemps que l’amour de l’oraison m’a éloigné des figures oratoires et que je ne peux me laisser accaparer par les fleurs de la rhétorique, moi que le cri du devoir appelle aux plaintes et aux prières235 ». La confrontation entre ces deux périodes est formulée explicitement dans l’epist. 2, 6 à Pomerius : « Je ne dois pas me risquer à la pompe de l’éloquence et je ne prends pas sur moi de dire comment et qui peut en user puisqu’il suffit à ma profession de s’attacher à la simple doctrine. Si, toutefois, jadis (quondam), quand je me délectais encore des études libérales toutes nouvelles pour moi, quelqu’un m’avait touché d’un tel coup de dent, j’aurais préparé soit une réplique adaptée pour me justifier soit une objection dont je n’aurais pas eu à rougir. Mais à présent (nunc), salut, mon cher Seigneur, et, à mon égard, joue plutôt le rôle de défenseur de l’enseignement de l’Église236 ». Ennode insiste sur le fait qu’il s’agit moins d’une évolution que d’une rupture comme le confirme l’incompatibilité entre sa professio et les études littéraires : il écrira plus tard à son élève Arator qu’il déteste le nom même des arts libéraux237 et refusera à sa parente Camilla d’instruire son fils dans les arts libéraux en invoquant le fait que l’enfant est déjà engagé dans l’Église238. En cela, il est le témoin d’une rupture, au moins déclarée, entre les lettres profanes et les lettres chrétiennes, qui contraste avec l’attitude d’un Augustin239. Cette rupture est plus symbolique que réelle puisqu’Ennode continue d’écrire suivant les canons rhétoriques traditionnels. Elle n’en est pas moins fondamentale : le profane apparaît en effet comme une figure limite, un repoussoir qui permet à celui qui l’exclut du discours d’affirmer son identité propre.

Notes
235.

Epist. 1, 16, 4 à Florianus : (…) diu sit quod oratorium schema affectus a me orationis absciderit et nequeam occupari uerborum floribus, quem ad gemitus et preces euocat clamor officii.

236.

Epist. 2, 6, 5 à Pomerius : periclum facere de eloquentiae pompa non debeo nec praesumo qualiter quis ualeat experiri, cum professionem meam simplici sufficiat studere doctrinae. Si me tamen quondam studiorum liberalium adhuc nouitate gaudentem aliquis tali dente tetigisset, parassem uel quod ad excusationem esset idoneum uel quod non puderet obiectum. Nunc uale, mi domine, et circa me ecclesiasticae magis disciplinae exerce fautorem.

237.

Epist. 9, 1, 4 à Arator : ego ipsa studiorum liberalium nomina iam detestor.

238.

Epist. 9, 9, 1-2 à Camella : properantes ad se de disciplinis saecularibus salutis opifex non refutat, sed ire ad illas quemquam de suo nitore non patitur. (…) Erubesco ecclesiastica profitentem ornamentis saecularibus expolire.

239.

Voir chapitre 4, p. 131.