2. À propos de quelques « fragilités »…

L’énergie inépuisable que reflètent les épîtres contraste avec l’expression de la tristesse et de l’angoisse qui ressort de certaines d’entre elles : « les vœux de mon cœur anxieux », écrit-il à Faustus, « étaient encore suspendus entre espoir et crainte271 » ; «  (…) je vous supplie de penser à me réconforter par des messages fréquents car, au milieu des fardeaux de la tristesse, je ne peux avoir d’autres secours que les consolations de votre bouche272 ». Exprimant cette angoisse sans retenue – en particulier dans les épîtres à son puissant protecteur Faustus – Ennode entretient l’image d’un homme « doux » et « de nature fragile273 ». S. A. Kennell a même été frappée par la « santé si souvent précaire » d’Ennode évoquée « dans plus de quatre-vingts lettres274 ». Mais le thème de la santé – qui est un lieu commun de l’écriture épistolaire – revêt parfois une dimension symbolique comme le reconnaît Ennode dans l’epist. 1, 21 à Faustus : « En indiquant donc, dans ces pages, ma mauvaise santé, je révèle la maladie de l’âme que le chagrin m’a fait contracter. Je suis inquiet pour le salut de nos yeux (lumina), me trouvant dans un lieu où le messager attendu ne parvient pas sans difficultés275 ». Le terme lumina est employé ici dans un sens métaphorique puisque la souffrance d’Ennode est une « maladie de l’âme » (aegritudinem animi). Ennode veut probablement dire qu’il craint de n’avoir pas assez bonne vue, du lieu où il se trouve, pour voir d’assez loin le messager qui va lui annoncer l’arrivée ou quelques nouvelles de Faustus276. Mais le terme lumina peut avoir encore un autre sens – celui que nous avons retenu dans notre traduction – et désigner les « brillants personnages », les « clarissimes ». Les allusions aux « fragilités » d’Ennode demandent à être interprétées avec d’autant plus de prudence que ses activités, son éloge de l’inportunitas 277, ses appels à l’action, ses manifestations de colère278 et tant d’autres aspects de sa personnalité témoignent d’une volonté et d’une vitalité peu communes.

Notes
271.

Epist. 2, 10, 2 à Faustus : (…) adhuc inter spem et metum anxii uota penderent.

272.

 Epist. 2, 16, 4 à Faustus : (…) supplico, ut crebris me releuandum ducatis adfatibus, cui inter maeroris sarcinas nullum praeter oris uestri solacia potest esse subsidium.

273.

Epist. 2, 5, 1-2 à Laconius : homo lenis (…) uictus sum naturae fragilitate.

274.

Kennell, p. 126-127 : « Precisely because his health was so often precarious, Ennodius was generally more aware of his body than most people (…). Well over eighty of Ennodius’ letters make some reference to his health along with that of his correspondent ».

275.

Ennod. epist. 1, 21, 1 à Faustus : His ergo ualetudinem meam indicans aegritudinem animi resero, quam de maerore contraxi. De luminum nostrorum salute sollicitor, in eo loci constitutus, ad quem difficile nuntius exspectatus adlabitur.

276.

Le terme lumina peut aussi désigner les brillants personnages, les « clarissimes » : voir Val. Max. 3, 8, 7, éd. C. Kempf, Teubner, 1888, p. 157 : non indignabuntur lumina nostrae urbis ; « On n’indignait pas ceux qui font l’éclat de notre ville ». Cette interprétation est cohérente avec le pronom eorum dans la phrase suivante.

277.

Ennod. epist. 1, 3, 2 à Faustus.

278.

Epist. 1, 24 à Astyrius ; epist. 2, 15 à Euprepia.