La métaphore du « dialogue à distance » est un thème fondamental de l’épistolographie antique qui définit la lettre comme un sermo 314 . Le style épistolaire doit imiter la conversation et reconstituer une fiction de dialogue315 : c’est pourquoi les épistoliers ont recours au champ sémantique de l’oralité pour décrire leurs échanges (sermo, adfatus, adloquium, conloquium, eloquium, confabulatio, uerba, etc.)316. Le caractère oral de la lettre implique donc une apparence de simplicité, de spontanéité et d’immédiateté que souligne Sénèque dans un passage célèbre de l’epist. 75 à Lucilius : « Ma conversation, si nous nous trouvions en tête-à-tête paresseusement assis ou à la promenade, serait sans apprêt, d’allure facile. Telles je veux que soient mes lettres : elles n’ont rien de recherché, rien d’artificiel317 ». Cette déclaration d’intention que l’on retrouve chez tous les épistoliers est un lieu commun des correspondances. On aurait tort d’interpréter la recherche de cette illusion comme un « mensonge318 » dans la mesure où elle est une convention admise par tous les acteurs de l’échange. Elle révèle néanmoins toute l’ambiguïté de la « simplicité » épistolaire qui atteint un niveau paradoxal dans les obscures épîtres d’Ennode. Nous verrons en effet dans le dernier chapitre que l’idéal de simplicité et de lumière – comme l’écrit Ennode lui-même – est le fruit d’un intense travail d’écriture. Il n’a aucun rapport avec la facilité d’un écrit improvisé : « Quant à force de travail, un homme minutieux a conduit à la lumière la veine abondante de son éloquence, alors sont remplis avec succès les devoirs épistolaires qui combleront les attentes du destinataire319 ». « La négligence est de règle dans les épîtres et un habile défaut de soin se présente comme la garantie du génie320 ». Ce double objectif – rendre le destinataire présent et dialoguer avec lui – supposent le respect des règles contraignantes du code épistolaire.
L’emploi de sermo pour désigner l’épître est banal chez les épistoliers : voir par exemple Symm. epist. 1, 45 : sermo multus ; 2, 2 sermo parcior ; 6, 2 : desideratus sermo.
Burnet, p. 39-41 : « La lettre, substitut de l’oral » ; chez les épistoliers classiques, voir E. Gavoille, « La relation à l’absent dans les lettres de Cicéron à Atticus », Epistulae Antiquae I, 2000, p. 153-176.
À ces termes empruntés au champ sémantique de l’oralité s’ajoutent d’autres synonymes d’epistula que l’on trouve fréquemment dans les lettres d’Ennode : litterae, scriptum, scriptio, pagina, stilus, chartula.
Sen. epist. 75, 1, éd. F. Pr É chac, trad. H. Noblot, 1957, p. 50 (CUF) : Qualis sermo meus esset, si una desideremus aut ambularemus, inlaboratus et facilis, tales esse epistulas meas uolo, quae nihil habent accersitum nec fictum.
P. Burnet interprète la « simplicité d’apparence » comme un des « usages menteurs de l’épistolaire » (p. 41).
Ennod. epist. 1, 8, 1 à Firminus : Quando abundantem loquellae uenam laboriosus in lucem scrutator adduxerit, tunc procedunt officia suscipientis desideriis paritura.
Epist. 2, 13, 1 à Olybrius : lex est in epistulis neglegentia et auctorem genii artifex se praebet incuria.