b) Dans la Correspondance d’Ennode (livres I et II)

Certes, il est possible de déterminer les lettres qui constituent une réponse à un courrier précédent à travers l’emploi du verbe rescribere à la première personne (epist. 1, 16 à Florianus ; epist. 2, 20 à Constantius ) ou à travers l’évocation d’une commande antérieure (epist. 2, 19 et 2, 20 à Constantius ; epist. 2, 28 à Avienus). Mais ce critère est sans grand intérêt. Dans l’epist. 1, 10 à Jean, Ennode reprend la classification élémentaire établie par Cicéron et Pline et rappelle lui aussi qu’il ne faut pas mélanger le ton des lettres privées et celui des lettres publiques429. Les premières, les familiares paginae 430, sont adressées à des proches et regroupent les témoignages d’affection431, les lettres de consolation et les blâmes432. Le lecteur y est souvent touché par l’évocation délicate de la douleur de ses destinataires, de leur santé déficiente433 ou de leur tristesse434. Ces « lettres intimes » ne doivent pas être confondues avec les épîtres plus formelles « que nous devons, écrit Ennode, adresser aux autres435 ». Il est possible de préciser cette classification en distinguant des lettres portant sur des questions culturelles (critiques stylistiques436, conseils littéraires437, petits traités du genre épistolaire438), des lettres remplissant une fonction sociale (félicitations439, requêtes de nature judiciaire440, recommandations441, réponses à des commandes442) et enfin des lettres plus exclusivement religieuses (portant sur des questions de discipline ecclésiastique443, sur des questions de doctrine444, de morale445 ou de spiritualité446). Mais cette distinction élémentaire nous semble artificielle tant il est vrai que les préoccupations sociales, esthétiques et spirituelles sont le plus souvent étroitement liées dans ces lettres et révèlent la cohérence profonde de ces différentes activités. Contrairement aux Correspondances de Pline le Jeune ou de Sidoine Apollinaire, les lettres d’Ennode sont donc essentiellement des échanges réels qui s’adaptent mal à des catégories définies à l’avance.

La Correspondance d’Ennode se caractérise par sa dimension réelle et par sa volonté de transmettre les règles pratiques de l’épistolographie dont elle serait en quelque sorte une illustration. Si elle reflète des situations concrètes, elle représente également une sorte de guide pratique du genre épistolaire dans les cercles de la société gallo-romaine du début du VIe siècle. Cette seconde fonction explique le succès de ces épîtres dans les manuscrits utilisés pour l’enseignement de l’ars dictaminis au XIIe siècle. Toutefois, le poids de cette tradition n’empêche pas Ennode de poursuivre l’évolution du genre épistolaire en constituant une Correspondance authentiquement chrétienne.

Notes
429.

Ennod. epist. 1, 10, 1 à Jean : adulationis suspicione polluatur adfectio et amor currat in uitium, dum illud, quod apud alios debemus facere, nobis inconpetenter ingerimus. Amantium enim ornamenta inter familiares paginas retinenda sunt, non loquenda, ne tantum conscientias nostras uacuis sensibus relatione laudis oneremus.

430.

Ibid.

431.

Epist. 1, 8 et 2, 7 à Firminus et les épîtres à Faustus en général.

432.

Les querellarum perlatrices litteras : epist. 1, 16 à Florianus ; epist. 1, 24 et 2, 12 à Astyrius ; epist. 1, 15 à Euprepia.

433.

Dans l’epist. 1, 19, Ennode tente de consoler le célèbre grammairien Deuterius qui souffre des yeux ; les yeux « causent également de grandes inquiétudes » à Ennode dans l’epist. 1, 21 ; dans l’epist. 1, 20, il célèbre la guérison providentielle d’enfants de la famille de Faustus dans un débordement de joie.

434.

Voir la longue lettre de consolation qu’il adresse à son cousin Armenius après la mort de son fils (epist. 2, 1).

435.

Epist. 1, 10, 1 à Jean : (…) quod apud alios debemus facere.

436.

Epist. 1, 10 à Jean ; epist. 1, 16 à Florianus ; epist. 1, 24 à Astyrius.

437.

Epist. 1, 1 à Jean ; epist. 1, 9 à Olybrius ; epist. 1, 10 à Jean ; epist. 1, 16 à Florianus.

438.

Epist. 1, 8 et 2, 7 à Firminus ; l’epist. 2, 26 à Liberius, etc.

439.

Dans l’epist. 2, 24, Ennode félicite Faustus d’avoir écrasé l’orgueil des ennemis, les partisans de Laurent.

440.
Epist. 1, 7 : une affaire relative à deux esclaves ; epist. 2, 23 : la spoliation des biens de Lupicinus.
441.

Epist. 2, 16, à Faustus pour Pamfronius ; epist. 2, 22 à Faustus pour Albinus.

442.

Epist. 2, 19 à Constantius ; epist. 2, 28 à Avienus.

443.

Epist. 2, 14 aux évêques africains exilés en Sardaigne pour les exhorter au martyre.

444.

Epist. 2, 19 à Constantius sur la grâce et sur le libre arbitre.

445.

Epist. 1, 16 à Florianus ; epist. 1, 24 et 2, 12 à Astyrius ; epist. 1, 15 à Euprepia.

446.

L’epist. 1, 20 est une prière d’action de grâce si bien qu’Ennode est contraint de revenir à l’usage épistolaire sur la fin (epist. 1, 20, 6 à Faustus : Sed nunc ad epistulae usum reuertor).