A. La christianisation de la culture profane

1. Une culture latine
a) La présence discrète de la culture grecque

Comme H.-I. Marrou l’a observé à propos d’Augustin, on est « frappé avant tout par sa dépendance à l’égard de la tradition scolaire antique447 ». Si une vue d’ensemble révèle que sa culture était essentiellement latine, Ennode avait nécessairement une bonne connaissance du grec puisqu’il fut choisi par le pape pour conduire les ambassades pontificales de 515 et 517 en Orient. Il l’avait probablement appris au cours de sa formation en Italie du nord. Si la culture grecque avait presque disparu en Gaule « après la mort de son dernier représentant Claudien Mamert (474) 448  », plusieurs études ont souligné, pour reprendre l’expression de P. Courcelle, « la renaissance de l’hellénisme sous les Ostrogoths 449  ». Or, la correspondance d’Ennode révèle ses liens étroits avec les milieux culturels de Ravenne où furent traduits en latin, au début du VIe siècle, des traités des célèbres médecins grecs Hippocrate, Galien, Rufus d’Éphèse et Oribase 450 . Sans livrer d’éléments nouveaux sur le bilinguisme en Italie du nord au début du VIe siècle, Ennode ne manque jamais une occasion de louer la culture grecque de ses correspondants, tel Aviénus qui était capable « d’apprécier l’or de Démosthène et le fer de Cicéron 451  ». Toutefois, il faut bien reconnaître que les épîtres ne manifestent aucune érudition particulière dans le domaine grec ni par le nom des auteurs cités (Homère 452 et Démosthène), ni par les réminiscences littéraires 453 ni par le vocabulaire employé. Les rares mots grecs – essentiellement de la deuxième déclinaison – sont latinisés454 et il s’agit le plus souvent de mots usuels empruntés à la langue ecclésiastique (Apocalypsis 455, Apostolus 456, clericus 457, diaconus 458, dogma 459, ecclesia 460, propheta 461, etc.) ; en outre, l’usage de formes grecques est un lieu commun de l’écriture épistolaire462.

Notes
447.

H.-I. Marrou, Saint Augustin et la fin de la culture antique, 19584, p. 407.

448.

P. Rich É, p. 42.

449.

P. Courcelle, Les lettres grecques en Occident, 1943, p. 255-388 : « la renaissance de l’hellénisme sous les Ostrogoths ».

450.

Voir P. Rich É, p. 429, note 126 : la plus ancienne traduction latine des œuvres d’Oribase est datée par ses éditeurs « du début du VIe siècle et de l’Italie du Nord ; le Cod. Ambr., G., 108, inf. en partie copié sur un archétype ravennate, mentionne un Agnellus yatrosophesta, un Simplicius medicus » ; voir A. Beccaria, I Codici di medicina del periodo presalernitano, secoli IX-X-XI, 1956, p. 290.

451.

Ennod. epist. 1, 5, 10 à Faustus : aurum Demosthenis et ferrum Ciceronis.

452.

Epist. 2, 6, 4 à Pomerius. Le nom d’Homère n’apparaît que dans une citation de Claudien (carm. min. 23, deprecatio ad Alethium quaestorem, 13-14).

453.

On devine peut-être une allusion à Aristophane dans l’epist. 1, 14, 3 à Faustus : Ennode évoque la Paix quittant la ville « sous la pression de la Discorde (…) comme une divinité hésitante et vagabonde » (voir Aristophane, La Paix, 221-223).

454.

Voir Dubois, p. 247. L’auteur cite archiatrus, eremus, paradisus, holocaustum, anagnosticum, pragmaticum. La plupart des noms dérivés du grec sont ramenés à des types de déclinaison latine ordinaires.

455.

Ennod. epist. 2, 19, 7 à Constantius.

456.

Epist. 2, 19, 8 à Constantius.

457.

Epist. 1, 2, 3 à Florus.

458.

Epist. 2, 14, 5 aux évêques africains.

459.

Epist. 1, 4, 4 à Faustus.

460.

Epist. 1, 7, 4 à Faustus et passim.

461.

Epist. 1, 4, 4 à Faustus.

462.

Cugusi, p. 83-91 : « Uso del greco e di forme grecizzante ».