1. La vocation « universelle » de l’enseignement épistolaire d’Ennode

a) Un « universalisme aristocratique » ?

Les divers aspects de la pédagogie d’Ennode tendent vers le même objectif, l’enseignement d’une rhétorique « efficace », c’est-à-dire d’une éloquence au service de la foi et de la morale chrétiennes. La notion d’efficacité apparaît dans l’epist. 1, 10, 5 à Jean dont l’éloquence ne produit pas de « fruits » : « Les discours que tu écris sont beaux mais moi, je les préfère vigoureux. Ils sont couronnés de fleurs mais j’aime davantage les fruits525 ». La direction morale est dispensée d’une manière tellement discrète dans les épîtres qu’elle a peu retenu l’attention des lecteurs modernes526. Mais il en était tout autrement au Moyen Âge où l’œuvre d’Ennode était présente dans des recueils d’exhortationes morales 527. L’intention morale se devine au détour d’une phrase, parfois d’un simple mot. Par exemple, Ennode emploie souvent le terme castigans pour se qualifier lui-même528. Le choix de ce verbe est très révélateur puisque castigare désigne chez Sénèque l’action de corriger moralement autrui529. Le contenu de ces admonitions, qui est d’une grande simplicité, traduit la vocation universelle d’un enseignement moral qui ne vise pas seulement le destinataire mais tous les lecteurs potentiels de l’épître530, comme le montre la généralisation de l’expression.

Notes
525.

Ennod. epist. 1, 10, 5 à Jean : pulchra sunt quae scribis, sed ego amo plus fortia ; redimita sunt floribus, sed poma plus diligo.

526.

Un article récent de R. Bartlett a souligné la portée morale des épîtres d’Ennode : voir R. Bartlett, « Aristocracy and Ascetism: The Letters of Ennodius and the Gallic and Italian Churches », Culture and Society in Late Antique Gaul: Revisiting the Sources, 2001, p. 201-216.

527.

Voir chapitre 1, p. 61.

528.

Ennod. epist. 1, 1, 5 : industria castigantis ; epist.1, 10, 3 : uocem debeo castigantis.

529.

Voir Sen. epist. 21, 11, 4 ; benef. 7, 24, 2.

530.

Nous nous interrogerons dans le dernier chapitre sur la portée réelle de ces lettres dont la complexité stylistique limitait nécessairement la réception (voir chapitre 8, p. 257-258).