b) Des thèmes empruntés à la pastorale chrétienne : les euangelii monita

En effet, les « admonitions » d’Ennode expriment et diffusent des thèmes traditionnels de la prédication, comme la promesse des récompenses célestes578, l’exaltation du martyre579, la lutte contre le mal580, la recherche de l’humilité présentée comme le sommet de la vertu581, le rejet du mensonge582, le respect des promesses583 et des devoirs envers sa famille584, le repentir après la faute585, la condamnation des pratiques païennes interdites586. Parfois, les exhortations prennent le ton d’une méditation sur la fragilité de la nature humaine587, d’une invocation de la sagesse divine588 ou d’un encouragement589.

L’intention religieuse est parfois explicite puisqu’Ennode invite à ne pas négliger les « exhortations de l’Évangile » (euangelii monita 590). Mais il va plus loin : il présente l’assiduité de la relation épistolaire comme un moyen de rester fidèle aux Écritures : « revenez à la concorde épistolaire avec moi, de peur de vous opposer aux exhortations de l’Évangile591 ». Il est vrai que les correspondances suivies lui permettent de poursuivre son enseignement et d’inscrire la direction spirituelle dans la durée. Support d’une forme de prédication abrégée, la communication épistolaire est aussi l’occasion d’une ascèse personnelle pour l’auteur, invité à ne pas négliger ses relations avec les autres : « une tendresse muette est presque l’image de l’homme qui n’aime pas et c’est donner l’image de la haine que de ne pas montrer que l’on aime par le témoignage d’un entretien592 ». « Je crois », écrit-il à Faustus, « que cette faute peut être réparée par la fréquence de la correspondance593 ».

L’enseignement religieux ne doit pas être minimisé par rapport à l’enseignement rhétorique dans la mesure où l’un et l’autre sont étroitement liés : l’omniprésence de la culture profane soulève en effet l’un des thèmes fondamentaux de la « pastorale épistolaire » d’Ennode : quelle attitude faut-il adopter vis-à-vis de la culture profane ?

Notes
578.

Epist. 1, 19, 1 à Deuterius : dulcem mercedem ; epist. 1, 20, 2 à Faustus : supernae remunerationis divitias (…) ; accipere caelestia dona ; mali minarentur peccata sentire ; epist. 1, 20, 6 : arcem puritatis ascendit.

579.

Epist. 2, 10, 3 à Faustus : ista magis illis cum lacrimoso gaudio dixi quos aut effusus sanguis albo curiae caelestis adscripsit aut clara confessio ; epist. 2, 14, 3 aux évêques africains : maiora sunt confessionis praemia quam nominatae munera dignitatis / nec opus est eos in tropeo iam positos adtolli laudibus.

580.

Epist. 1, 13, 2 à Agapitus : procul a moribus vestris malitiae facessat obscenitas ! La lutte contre le diable s’accomplit dans la lutte contre les schismatiques : epist. 2, 19, 1 et 7 à Constantius : Abundo gaudio nec clauda laetitiae meae fides est, ideo aliqua per diabolicam inspirationem nasci certamina (…). O scismaticam propositionem, quae iuxta apocalypsim scriptas habet in fronte blasfemias !

581.

Epist. 2, 28, 4 à Avienus : praecelsi honorum tuorum apices haec sola recipiunt augmenta, quae de humilitate nascuntur.

582.

Epist. 1, 10, 1-2 à Jean ; epist. 1, 16, 5 à Florianus : Delenifica ergo et malesuada conpesce conloquia. Si ficta sunt quae scribis et peniculo decorata mendacii, muta propositum uel posteaquam uides mentem innotuisse qua feceris ; « Cesse donc de tenir des propos flatteurs et de mauvais conseils. Si ce que tu écris est faux et orné par le pinceau du mensonge, modifie ton comportement même une fois que tu te rends compte que l’esprit dans lequel tu l’as fait, a été dévoilé ».

583.

Epist. 2, 18, 2 à Jean : uestrum est, si temporum mala contemnitis, promissam seruare concordiam ; « il vous appartient, si vous bravez les malheurs des temps, de préserver la concorde promise ».

584.

Epist. 2, 15, 2 à Euprepia : ubinam gentium materna hactenus cura delituit ?« En quel recoin du monde s’est donc caché jusqu’à présent ta sollicitude maternelle ? ».

585.

Epist. 1, 12, 2 à Avienus : (…) adhuc credo excusationem posse recipere quod fecisti, et purgationis tuae in hac parte causas aestimo ; « (…) je crois encore pouvoir accepter comme excuse ce que tu as fait et je pense que tu as sur ce point des raisons pour te justifier que je ne peux pas connaître ».

586.

Epist. 1, 24 et 2, 12, 1 à Astyrius : Profeticis oraculis sublimitas tua praestat obsequium et ad fidem ueterum sanctionum militat nouellis excessibus ; « Ta Sublimité témoigne du respect pour les oracles prophétiques et, fidèle à leurs vieilles recommandations, elle s’engage dans de nouveaux débordements ».

587.

Epist. 1, 20, 2 à Faustus : Vere supernae remunerationis diuitias humana mens nescit expendere. « En vérité, l’esprit humain est incapable d’apprécier les richesses de la récompense divine ! » ; epist. 2, 27, 2 à Honoratus : quam dura est humanarum rerum condicio, quae quotiens desideriis aliquo sapore responderit, mox et in forinus concessa permutat ; « Qu’elle est pénible la condition humaine qui, chaque fois qu’elle a répondu à nos désirs avec quelque saveur, renverse bientôt ce qu’elle vient à peine de concéder ! ».

588.

Epist. 2, 1, 10 à Armenius : Non unam ergo uiam, si audire digneris, uitae melioris ostendam, licet tua non egeat monitore perfectio nec magistro opus sit ei, quem fecerunt actuum suorum emendationes et honestamenta conspicuum. Nisi tantum ut adhortationis quam consilio tuo et prudentiae debes, fidem diligenter expendas (…) ; « Ce n’est pas une seule voie de vie meilleure que je te montrerais, si tu daignais m’écouter, bien que ta perfection morale ne rende pas nécessaire la présence d’un guide et qu’il n’ait pas besoin d’un maître celui qu’ont rendu remarquable la droiture et l’honnêteté de ses actes, si ce n’est seulement cette exhortation pour que tu juges scrupuleusement ma fidélité que tu dois à ta clairvoyance et à ta sagesse (…) ».

589.

Ennode soutient l’effort de ses correspondants, comme dans l’epist. 1, 1, 6 à Jean : Deum precor, ut adolescentia in te, quae perfectionem primordiis monstrant, bonae frugis germina conualescant ; « Je prie Dieu que la jeunesse fasse croître en toi les germes de la bonne semence qui montrent la perfection dès le commencement ».

590.

Epist. 1, 25, 2 à Olybrius et Eugenes.

591.

Ibid : (…) ad scriptionis mecum remeate concordiam, ne contra euangelii faciatis monita (…).Cette phrase reprend de façon condensée l’éloge de l’inportunitas par laquelle Ennode commence l’epist. 1, 3, 1-2 à Faustus. Ennode y justifiait également son insistance par une référence aux É vangiles (voir Luc. 11, 8-9 : dico uobis et si non dabit illi surgens eo quod amicus eius sit propter inprobitatem tamen eius surget et dabit illi quotquot habet necessarios. Et ego uobis dico petite et dabitur uobis : « je vous le dis, même s’il ne se lève pas pour les lui donner en qualité d’ami, il se lèvera du moins à cause de son impudence et lui donnera tout ce dont il a besoin. Et moi je vous dis : demandez et l’on vous donnera », trad. La Bible de Jérusalem).

592.

Epist. 1, 23, 1 à Senarius : Muta caritas paene repraesentat speciem non amantis, et odiorum simulacrum est non aperire quod diligas contestatione sermonis.

593.

Epist. 1, 14, 6 à Faustus : sed hanc credo culpam scriptionis emendari posse frequentia.