Les épîtres essaient de définir mais aussi d’illustrer ce que doit être un bon usage – un « nouvel usage » écrit Ennode – de la culture profane, comme le montre l’exemple de la mythologie : certaines expressions semblent condamner vigoureusement toute référence aux fables antiques : « que toutes les méprisables fictions profanes soient rejetées, elles qui sont tendues vers des croyances dépassées et semblables à la trame de Pénélope 594 ». La même condamnation de la mythologie apparaît dans l’epist. 1, 9 à Olybrius qui avait évoqué le combat d’Hercule et d’Antée : « Que cessent les inventions des vieilles femmes, celles des poètes ! Répudions les fables de l’Antiquité ! 595 ». Pourtant, la suite de l’épître précise la véritable intention d’Ennode. Pour lui, la mythologie est un réservoir d’histoires dans lequel il est permis de puiser à condition qu’elles servent l’enseignement de la morale chrétienne : « Pour nous, si nous voulons rappeler les exemples des anciens pour en faire un usage nouveau, il convient de nous souvenir de la bienveillance et de la loyauté de Pylade et Oreste, de Nysus et Euryale, de Pollux et Castor, si toutefois l’indécence d’actes clandestins ne leur soustrait rien. (…). Voici qui est digne de mémoire quand, parmi les liens d’une concorde nouvelle, ce que j’appellerais l’écorce humide des cœurs permet à un noble rejeton de s’unir au robuste terreau et de l’épouser 596 ». Dès lors, la mythologie peut se révéler un support privilégié puisqu’elle contient des anecdotes familières à chacun. Loin de la rejeter en bloc, Ennode appelle donc à « évoquer les exemples des anciens pour en faire un usage nouveau 597 ». Cette conception reflète l’attitude de nombreux lettrés chrétiens : il ne s’agit pas de rejeter la culture païenne mais d’en condamner tout « usage » qui ne soit pas soumis à la finalité chrétienne, à ce qu’il appelle le nouellus usus. Il est frappant de constater qu’Ennode ne se contente pas d’exprimer cette idée mais qu’il s’efforce d’illustrer sa théorie par une citation extraite d’une œuvre profane : l’image hardie de « l’écorce humide » des cœurs est en effet tirée des Géorgiques 598 . Ennode a aussi recours à des exempla mythologiques. Il compare par exemple les rapports entre Avienus et son père Faustus avec ceux d’Enée et d’Anchise, suggérant que son jeune correspondant est un nouvel Enée 599 . Cette exemple montre que l’épître est le lieu d’un enseignement théorique (le bon usage de la culture profane) fondé sur un cas concret (le recours par Ennode à une illustration virgilienne).
Epist. 2, 6, 6 à Pomerius : ista quae sunt saecularium schemata, respuantur, caducis intenta persuasionibus, telae similia Penelopeae.
Epist. 1, 9, 4 à Olybrius : Cessent anilium commenta poetarum, fabulosa repudietur antiquitas.
Epist. 1, 9, 4-5 à Olybrius : Nobis, si placet in nouellum usum maiorum exempla reuocare, potius Pyladis et Orestis, Nisi et Euryali, Pollucis et Castoris, si nihil his clandestinorum actuum decerpit obscenitas, conuenit gratiae meminisse uel fidei. (…) Ista sunt digna memoria, quotiens inter nouos concordiae nexus, udo, ut ita dixerim, animorum libro caespitibus ualidis fetura nobilis iuncta maritatur.
Epist. 1, 9, 4 à Olybrius.
Verg. georg. 2, 74-77, éd. et trad. E. de Saint-Denis, 1956, p. 22 (CUF) : Nam qua se medio trudunt de cortice gemmae / et tenuis rumpunt tunicas, angustus in ipso / fit nodo sinus : huc aliena ex arbore germen / includunt udoque docent inolescere libro ; « En effet, à l’endroit où les bourgeons poussent du milieu de l’écorce et brisent ses minces tuniques, on fait une entaille étroite dans le nœud même : c’est là qu’on enserre le bouton pris d’un arbre étranger, et on lui apprend à se développer dans le liber humide ».
Ennod. epist. 1, 18, 2-5 à Avienus : Viri fortis progenies armorum faciem inter patris agnoscit amplexus et, dum naturae obsequitur, discit amare terrorem. Doctorum radix Maro, uestri formator eloquii, sic animatum uerbis patris filium memorat, ut dicat : ‘Disce, puer, uirtutem ex me’ et alibi : ‘Et pater Aeneas’. Numquid ille iam fortibus ad certamina brachiis adsurgebat, aut uirili ualetudine inminentia putabatur bella gesturus ? (…) Nunc ergo tu, dulce meum, bene coepta persequere et fauente Deo, ut auum nomine, ita patrem redde doctrina ; « Le rejeton d’un homme courageux découvre le visage des armes au milieu des embrassements de son père et, obéissant à la nature, il apprend à aimer la peur. La souche des savants, Virgile, qui a formé votre éloquence, rappelle que ce fils fut encouragé par son père disant : « mon enfant, apprends de moi le courage » et ailleurs : « Enée, ton père… ». Celui-ci se portait-il par hasard aux combats avec des bras déjà puissants ou bien le croyait-on capable de livrer des guerres menaçantes avec la force d’un homme ? (…) Ainsi donc, à présent, toi, mon doux ami, persévère dans tes heureux commencements et, avec l’aide de Dieu, ressemble à ton père par la culture comme à ton aïeul par le nom ».