Si l’on admet généralement que Cynegia était une de ses cousines, une autre possibilité a été formulée, avant d’être écartée, par C. Settipani : « (…) il ne fait aucun doute que c’était une très proche parente d’Ennode, sa cousine germaine très certainement, puisqu’elle devait avoir le même âge que lui et qu’Ennode aurait sans aucun doute spécifié qu’elle était sa sœur si tel avait été le cas638 ». Mais faut-il écarter définitivement l’hypothèse que Cynegia soit une sœur d’Ennode ? Nous savons que ce dernier eut trois sœurs639 : Euprepia (la mère de Lupicinus), une seconde sœur dont le nom n’est pas connu (la mère de Parthenius) et enfin une troisième dont nous ignorons tout640. Cynegia serait-elle cette dernière ? L’argument a silentio ne nous paraît pas probant pour écarter cette possibilité car le latin d’Ennode est trop allusif pour qu’on puisse tirer argument de ses silences. La Correspondance n’évoque jamais explicitement l’engagement d’Ennode en faveur du pape Symmaque dont il fut pourtant, nous verrons dans le chapitre suivant, l’un des principaux défenseurs durant le schisme laurentien. Le fait qu’Ennode ne dise pas que Cynegia est sa sœur ne signifie donc pas qu’elle ne l’est pas. En outre, plusieurs éléments méritent d’être signalés : tout d’abord, le fait que Cynegia soit la sœur d’Ennode donnerait évidemment beaucoup de sens à l’epist 1, 5 et justifierait l’enthousiasme d’Ennode devant l’accession au consulat d’Avienus qui serait alors son neveu. Ensuite, la parenté étroite entre Cynegia et Ennode expliquerait l’intensité de ses relations avec Faustus641, sa liberté de ton642 à l’égard d’un si haut personnage (ancien consul, questeur du palais…) et surtout l’influence de Faustus sur l’ascension fulgurante d’Ennode643. Un dernier indice doit être pris en considération : à la mort de Cynegia, Euprepia, la sœur d’Ennode, lui demande de composer une épitaphe que celui-ci lui adresse aussitôt : « J’ai composé l’épitaphe de ma chère dame Cynegia avec une rapidité qui ne m’a pas permis de la limer à loisir, ayant à peine une heure à y consacrer. Regarde si c’est suffisant pour exposer les mérites si éminents de cette femme ! (…) Et toi, ma chère dame, embrassant ma lettre comme si c’était moi-même, prie pour que l’esprit de celle-ci ne soit nullement blessé par la rudesse des devoirs officiels644 ». Cette épître ne manque pas de surprendre : le fait qu’Ennode envoie, à l’occasion de la mort de Cynegia, une épître pleine de compassion645 à Euprepia prouve bien qu’un lien étroit unissait les deux femmes (les deux sœurs ?), désignée chacune par le même terme (domina / domna). En outre, Cynegia est la seule personne pour laquelle Ennode ait composé deux épitaphes, l’une officielle646, qui évoque abondamment son époux Faustus et passe sous silence les origines de Cynegia, l’autre plus simple mais aussi plus intime, destinée à Euprepia. Le premier vers de cette seconde épitaphe se termine sur « le fil des sœurs647 ». Si cette expression évoque naturellement les Parques, ne contient-elle pas aussi une discrète allusion aux trois sœurs d’Ennode648 ? Enfin, il est frappant de constater que cette seconde épitaphe, plus personnelle, ne cite même pas le nom de Faustus et n’évoque que la famille de Cynegia – qui est aussi celle d’Ennode et d’Euprepia – dont elle a su se montrer digne : « Par ses mœurs, elle soutint la lignée de ses grands ancêtres / la marque de sa famille fut l’éclat de son intelligence649 ».
Ces éléments invitent à ne pas écarter définitivement la possibilité que Cynegia soit une des sœurs d’Ennode. Mais aucun d’entre eux, reconnaissons-le, ne constitue une preuve définitive. Nous devons donc continuer à considérer Cynegia comme une « cousine germaine » d’Ennode, autrement dit comme une petite-fille de Felix Ennodius. Si celle-ci n’est pas une fille de Camillus ou de Firminus, elle est peut-être, comme le suggère C. Settipani, « la fille de la tante paternelle d’Ennode, décédée en 490, qui avait élevé celui-ci en Italie, à Aquilée. Elle aurait pu épouser un fils de Cynegius de Nole (éventuellement le sénateur Cynegius Orfitus) et engendrer ainsi Cynegia650 ». Dans ce cas, Ennode aurait grandi non loin de Cynegia dont l’époux, Faustus Niger, allait influencer sa carrière de façon déterminante.
L’ensemble des remarques prosopographiques sur la famille d’Ennode permet de proposer deux stemma fort proches : le premier a été établi par C. Settipani ; le second reprend l’hypothèse de Sirmond concernant Camillus et tient compte de celle que nous avons formulée à propos de Cynegia.
C. Settipani, Continuité gentilice et continuité familiale dans les familles sénatoriales romaines à l’époque impériale,Addenda I - III (juillet 2000- octobre 2002), p. 14. Nous exprimons notre reconnaissance à Monsieur C. Settipani qui a également porté à notre connaissance un article, en cours de publication, où il écarte à nouveau la possibilité que Cynegia soit une sœur d’Ennode (voir « L’ascendance romaine des aristocrates gallo-romains », à paraître : « Il est très difficile de déterminer le lien exact qui unissait Cynegia et Ennode (…). Mais il est pratiquement assuré qu’elle n’était pas sa sœur. D’abord il ne le précise pas, ce qu’il aurait certainement fait dans le cas contraire, et ensuite, on voit bien la distance qui sépare Cynegia d’Euprepia dans la façon dont il parle d’elle, éventuellement avec cette dernière précisément. La meilleure solution est bien sûr de voir en Cynegia une cousine germaine d’Ennodius »).
Voir Kennell, p. 29, note 89.
Ennod. carm. 1, 5, 22-26 : Tunc ego feruenti germanae tractus amore, / Cui natum Parcae demessum pollice diro / Sustulerant, uiduamque domum constante marito / Hanc ut solarer uel uitam prodere legi.
Faustus est le principal correspondant d’Ennode : dix-sept des cinquante-quatre lettres des deux premiers livres lui sont adressées.
Par exemple, dans l’epist. 1, 6, Ennode se moque d’un texte de Faustus en contredisant point par point la description que ce dernier avait faite du Larius.
Ennode laisse entendre que c’est Faustus qui l’a poussé dans la carrière ecclésiastique (epist. 1, 7, 2 à Faustus : Qua me tempestate, procella inmanium peccatorum, ire ad famosum officium conpulisti ? voir chapitre 2, p. 77-78) ; en outre, nous savons que Faustus et Ennode furent les deux principales figures de la défense du pape Symmaque durant le schisme laurentien. Si cela peut se comprendre pour Faustus, ancien consul et questeur du palais de Ravenne, l’importance d’Ennode qui, à trente ans, fut le porte-parole des partisans du pape s’explique peut-être par le rôle déterminant de Faustus dans l’entourage de Symmaque.
Epist. 5, 7, 2 à Euprepia : Domnae meae Cynegiae epitafium uix una hora habens tractandi spatium inelimata uelocitate composui. Vide necessitatem, ut illam tantorum meritorum feminam uerborum saltibus explicarem. (…) Tu, mi domina, epistolam praesentiae meae uice conplectens ora, ut spiritus illius scabridis nequaquam laedatur officiis.
À la fin de la lettre, Ennode s’excuse des « rudesses » (scabridis) des « témoignages officiels » (officiis) faisant peut-être allusion à l’autre épitaphe, officielle, sans doute écrite à la demande de son époux.
Voir epist. 7, 29 à Beatus.
Epist. 5, 7 carm. vers 1-2 : Nil sexus, nec busta docent, nil fila sororum / Vltima, fallaci pollice quae tenuant.
Le nom des Parques n’apparaît pas dans l’épitaphe de Cynegia où elles sont citées à travers la périphrase « le fil des sœurs ». Mais le terme soror n’est employé qu’à cette occasion pour désigner les Parques qu’Ennode évoque toujours ailleurs par leur nom (dict. 25, 3 : in hoc deterius Parcarum ludibrio subjacentes ; carm. 1, 5 vers 22 : Parcae ; carm. 2, 2 vers 6 : fila legunt Parcae ; carm. 2, 109 vers 5 : Parcarum stamine).
Epist. 5, 7, vers 7-8 : moribus adseruit magnorum stemma parentum / Indicium generis mens cui clara fuit.
C. Settipani, « L’ascendance romaine des aristocrates gallo-romains », article à paraître.