d) De nouvelles élites à Ravenne et à Rome ? Mobilité sociale et pratique du pouvoir

Il faut relativiser d’emblée l’importance de cette mobilité sociale qui concerne, en partie, des individus originaires de Milan, l’ancienne capitale impériale, où était implantée, par exemple, la famille de Faustus Niger : si les nouvelles figures de la « noblesse », dans les livres I et II, ne désignent pas systématiquement des homines noui, l’ascension d’une élite provinciale nous semble confirmée par la présence à Ravenne de Constantius668, originaire de Ligurie, par Decoratus669 et Honoratus670, originaires de Spolète, ou encore Liberius671. Le cas de Liberius est particulièrement intéressant : si ses origines sociales sont mal connues, il n’appartient pas à une grande famille romaine puisque son éloge funèbre ne contient aucune mention de ses ancêtres. Liberius passa près de trente ans à la cour, devint préfet du prétoire en Gaule et joua un rôle de premier plan dans la reconquête de Justinien.

Lieu d’une certaine mobilité sociale, Ravenne est surtout le cœur du pouvoir, la cour, où rayonne le questeur Fautus Niger, le puissant protecteur d’Ennode. On peut le voir à l’occasion de demandes d’intervention dans des affaires fiscales (epist. 1, 26 à Faustus), judiciaires (epist. 1, 7 à Faustus) et dans des affaires de discipline ecclésiastique relatives au schisme laurentien (epist. 5, 1 à Liberius). La cour apparaît comme le lieu essentiel pour la résolution des conflits : bien après l’issue du schisme laurentien, Ennode rappelle au diacre Hormisdas le rôle déterminant du roi de Ravenne dans le règlement de la crise : « il y a quelque temps, nous étions sous le coup d’une vive anxiété, incertains de la clémence de notre pieux roi et du jugement qu’il porterait sur les accusations dont le pape était chargé672 ». C’est pourquoi Ennode encourage ses correspondants à remplir des fonctions à Ravenne673 : une charge importante à la cour de Ravenne est synonyme de position influente. Aider des jeunes ambitieux, comme Pamfronius ou Albinus, à obtenir ces charges, c’est donc s’assurer des soutiens à la cour. Mais l’ascension à Ravenne n’est pas toujours une fin en soi : elle est aussi l’espoir d’une promotion sociale… à Rome.

Les homines noui qui remplissent une charge à la cour finissent souvent leur carrière dans l’ancienne capitale impériale comme en témoignent les parcours de plusieurs correspondants d’Ennode : citons l’exemple d’Agapitus, qui, selon l’epist. 1,13, obtint une charge importante à la cour où il devint Patrice mais obtint finalement le privilège du consulat en 517. C’est aussi le cas de Liberius, dont nous avons parlé, et de son fils Venantius, lui aussi propinquus d’Ennode (epist. 5, 22), qui reçut quant à lui la dignité de comes domesticorum à Ravenne avant d’obtenir le consulat qui l’introduisit dans l’aristocratie romaine.

Notes
668.

Voir epist. 2, 17 ; 2, 19 et 2, 20 à Constantius.

669.

Voir epist. 4, 17 ; 7, 6 et 7, 10 à Decoratus.

670.

Voir epist. 2, 27 à Honoratus.

671.

Voir J. J. O’Donnell, « Liberius the Patrician », Traditio, 37, 1981, p. 31-72. Ennode adresse six lettres à Liberius : epist. 2, 26 ; 5, 1 ; 6, 12 ; 8, 22 ; 9, 23 et 9, 29.

672.

Epist. 5, 13, 2 à Hormisdas : de clementia pii regis dubio meritorum aestimatione penderemus incerto.

673.

Certains jeunes correspondants recommandés par Ennode se retrouvent ensuite à de hautes responsabilités, comme Pamfronius. Peu après ses lettres de recommandation (epist. 2, 16 et epist. 4, 14), Ennode laisse entendre dans une lettre à Agapit que Pamfronius est sur le point de devenir vicaire (epist. 4, 16 : cui aliqua de uicariae dignitate suggeranda commisi). Pamphronius semble avoir obtenu une charge importante à la cour de Ravenne, comme le montrent les expressions employées par Ennode (magnitudo tua, uir sublimis et magnificus).