Depuis qu’il a pris le relais de la générosité impériale dans la seconde moitié du Ve siècle, l’évergétisme aristocratique revêt une importance capitale pour l’Église760. Il apparaît ainsi comme un enjeu central du schisme laurentien. L’aristocratie – qui soutenait majoritairement Laurent – avait tenté de limiter la puissance économique et l’indépendance croissante de l’évêque de Rome en promulguant en 483 un décret (la scriptura du préfet du prétoire Basilius) qui réglementait l’usage du patrimoine ecclésiastique. Profitant d’une vacance du pouvoir épiscopal ouverte par la mort du pape Simplicius, Basilius avait fait adopter un décret qui interdisait l’aliénation des biens ecclésiastiques (terres et objets du culte). L’aristocratie évergète voulait ainsi conserver ses droits sur les biens qu’elle avait donnés à l’Église et empêcher les clercs de les vendre pour préparer les élections pontificales : « entre l’aristocratie et l’Église se dessin[aient] des relations complexes oscillant de la collaboration à la concurrence. L’évergétisme avait donné assez de richesse à l’Église pour que dans l’aristocratie naisse la tentation de les contrôler761 ».
Symmaque manifestait ouvertement son hostilité contre la scriptura. Accusé par Laurent et ses partisans (en premier lieu l’aristocratie sénatoriale) de dilapider les biens ecclésiastiques, Symmaque adopta, lors du concile du 6 novembre 502, un règlement sur l’administration des biens de l’Église romaine qui proclamait la nullité de la scriptura et empêchait l’aristocratie d’exercer un contrôle sur ses biens. Les « faux-symmachiens » (ces documents apocryphes écrits par des partisans de Symmaque) confirment que ce problème économique est bien au cœur du schisme : l’un d’entre eux (les Gesta de Xysti purgatione et Polychronii accusatione) met en scène l’évêque de Jérusalem Polychronios qui est accusé – comme Symmaque – d’avoir vendu les praedia de son Église pour secourir le peuple. Ces accusations doivent être éclairées par les dépenses considérables qui ont effectivement caractérisé le pontificat de Symmaque. Comme l’écrit L. Reekmans, « la biographie de Symmaque (498-514) surprend par l’abondance des constructions au seuil du VIe siècle. En premier lieu, le pape concentra ses efforts sur St-Pierre-au-Vatican et ses abords. (…) Symmaque rénova et embellit aussi la basilique de St-Paul-hors-les-murs. (…) il fit bâtir des habitations pour les pauvres à St-Pierre, St-Paul, St-Laurent (…)762 ».
Alors que la puissance foncière et financière du pape était directement mise en cause au cours du schisme, l’évergétisme revêt une grande importance dans les Épîtres d’Ennode. Même si le problème de l’aliénation des biens ecclésiastiques n’est jamais évoqué explicitement dans les livres I et II, on pourrait multiplier, dans l’ensemble de la Correspondance, les exemples de lettres adressées à des personnalités pour leur demander de faire un don à un clerc, à un évêque ou à des fidèles dans le besoin. Ennode prie ainsi Mascator de contribuer au rachat de fidèles tombés dans la servitude pour dettes (epist. 9, 20). Au patrice Agnellus, il rappelle qu’il s’est engagé à donner un cheval (epist. 7, 26). Au patrice Liberius, il demande un domaine (epist. 9, 23 et 29). Il envoie plusieurs lettres à Boèce pour lui parler d’une maison près de Milan qu’il lui avait promise (epist. 8, 1 ; 8, 30 ; 8, 38 ; 8, 40). Enfin, il célèbre la fondation monastique financée par Faustus qui est alors préfet du prétoire mais qui « est plus vénérable par son action que par son titre763 ».
Voir C. Sotinel, « L’évergétisme dans le royaume gothique : le témoignage d’Ennode de Pavie », 1996, p. 213-222.
Ch. Pietri, « Aristocratie et société cléricale dans l’Italie chrétienne au temps d’Odoacre et de Théodoric », MEFRA, 93, 1, 1981, p. 432 ; Ch. Pietri, « Évergétisme et richesses ecclésiastiques dans l’Italie du IVe à la fin Ve s. : l’exemple romain », Ktêma, 3, 1978, p. 333-334.
L. Reekmans, « Les constructions des papes dans le Liber Pontificalis », Instrumenta patristica XXIII, 1991, p. 361.
Ennod. epist. 9, 18, 3 à Stephania : Faustum (…) plus est actione uenerabilem esse quam titulo.