2. La pleine lumière : la manifestation de l’excellence

Au sommet de l’échelle, la pleine lumière exprime une excellence, un aristocratisme qui se décline sur quatre modes constituant les bases d’une typologie : l’excellence de la naissance (le lucidus sanguis 771), la position sociale (la lux honorum 772), l’excellence culturelle (la lux scientiae 773) et, enfin, l’excellence morale (lux conscientiae 774, lux morum 775). Ces quatre types de lumières définissent les critères d’une « noblesse », la Claritas, dont Ennode souligne l’évolution776. En effet, la bonne naissance ne suffit plus en soi. Elle n’a d’éclat que si elle est mise en valeur par la culture, la lux scientiae. Mais le critère le plus important semble être à ses yeux la vertu, la lux conscientiae : en effet, certains érudits, membres de l’aristocratie sénatoriale, sont l’objet de vives critiques, comme le cousin d’Ennode, Astyrius, pourtant senator et doctus, auquel Ennode reproche de consulter les oracles, de se livrer à des pantomimes et de vivre dans la « boue charnelle777 ». Au contraire, ne pas posséder d’origines nobles n’empêche pas certains d’être des figures de la lumière si elle font preuve d’un style et d’une morale irréprochables, comme Césaire d’Arles, dans lequel brille la « lumière de l’éloquence et des œuvres778 ». Le symbolisme de la lumière, on le voit, n’est pas exprimé de façon abstraite : il s’incarne dans des personnes, souvent des correspondants présentés comme des exempla, des figures de la lumière : Speciosa, « lumière de l’Église779 » et « splendeur sans nuage d’une conscience intègre780 » ; le questeur de Ravenne, Faustus781, principal correspondant d’Ennode ; le fils de Faustus, le jeune consul Avienus782, « s’est mis à briller783 » et a montré « le chemin de la vertu pour le combat capital784 » ; le grammaticus Pomerius, « lumière de la science785 », qui fait le lien entre la culture profane et la culture chrétienne ; Boèce, enfin, qui « élève l’aurore des discours à une nouvelle lumière et [qui fait] le grand jour dans ses lettres786 ». Dans les autres œuvres d’Ennode apparaissent d’autres visages de la lumière, présentes ou passées : l’évêque Épiphane de Pavie, « lumière des évêques », « aurore de la lumière chrétienne787 », le moine de Lérins Antoine788, le grand Ambroise de Milan789 ou encore Avit de Vienne790.

Plus que de simples illustrations, ces figures de la « pleine lumière » sont les premières manifestations de la lux romana pour laquelle elles luttent dans un monde où s’affrontent les forces de la « lumière » et de la « nuit ».

Notes
771.

Epist. 1, 5, 6 à Avienus.

772.

Epist. 8, 1, 3 à Boèce.

773.

Epist. 2, 6, 1 à Pomerius.

774.

Epist. 9, 10, 1 à Celsus.

775.

Epist. 7, 14, 1 à Archotamia.

776.

Voir chapitre 5, p. 171-175.

777.

Epist. 1, 24, 3 à Asturius : (…) in illa carnis quam tu diligis illuuie (…).

778.

Epist. 9, 33, 6 à Césaire évêque : in te lux conuenit sermonis et operis.

779.

Epist. 2, 2, 2 à Speciosa : lux ecclesiae.

780.

Epist. 2, 2, 3 à Speciosa : bonae splendor sine nube conscientiae.

781.

Carm. 1, 7, 69 : lux mea, Fauste.

782.

Epist. 2, 11, 3 à Faustus : serena lux.

783.

Epist. 1, 5, 2 à Faustus : nouellus consul inluxit.

784.

Epist. 1, 5, 3 à Faustus : ad principalem militiam iter uirtutis ostendit.

785.

Epist. 2, 6, 1 à Pomerius : scientiae lux.

786.

Epist. 8, 36, 1 à Boèce : produxisti in lucem nouum iubar eloquii et, dum diem in epistula facis, splendorem recens adeptus crederis iam maturum.

787.

Opusc. 3, 142 : episcoporum lux Epiphanius ; opusc. 3, 165 : christianae lucis iubar.

788.

Opusc. 4, 41 : diem nostrum et lucem praesentis saeculi perpetui luminis adeptione commutauit.

789.

 Carm. 1, 15, 24 : sedis memento, lux, tuae.

790.

 Epist. 5, 21, 3 à Avitus : facta est lux genii uestri conscientiae meae demonstratio.