La première représentation ressort de la conception de la « noblesse » que nous avons analysée. Cette définition aboutit à une vision binaire de la société où les perfecti, les gens parfaits, forment une élite qui se distingue de tous les autres. Le terme perfecti sert à désigner les membres de la noblesse parmi lesquels se range Ennode. Il est employé comme un véritable synonyme de nobiles ou clarissimi : l’exemple de Jean qui cherche à atteindre « le faîte de la perfection791 » et qui tend vers « la Clarté792 » illustre les liens étroits entre la perfectio et la claritas. Mais ce n’est pas parce qu’un individu est noble qu’il est parfait ; c’est parce qu’il est parfait qu’il peut-être considéré comme « noble ». Cette vision binaire de la société (les perfecti et les autres) se retrouve à l’identique dans l’opposition entre les bons auteurs, ceux qui respectent avec succès les devoirs de l’épître, et les auteurs maladroits : « Agréable est le commerce épistolaire quand il émane d’un auteur érudit. C’est en lui qu’éclate la splendeur d’un style poli à la perfection lorsque la richesse de l’expression est bridée par les freins de l’habileté793 ». Et passant ensuite au style rude de l’auteur maladroit, il ajoute : « Qui, étant solidement établi sur la citadelle de l’éloquence, ne mépriserait pas l’affection d’une telle personne ? L’amour d’un inculte pèse sur la conscience des êtres parfaits794 ». Cette conception a pour conséquence d’exclure les indocti de l’amicitia épistolaire et, partant, de l’élite sociale. Le renouvellement de la notion de noblesse, qui traduit, nous l’avons vu, une subordination de l’excellence sociale à l’excellence culturelle et morale, délivre une conception de la société dans laquelle les « nobles » s’opposent aux indocti, ceux qui ne parviennent pas à l’excellence culturelle, et aux profani, terme générique qui désigne à la fois ceux qui cultivent encore des pratiques païennes et des comportements indignes de la morale chrétienne, mais aussi les chrétiens schismatiques, ceux qui menacent le pouvoir de l’évêque de Rome et qu’Ennode qualifie de profanissimi 795.
La distinction entre les perfecti et les autres (indocti, profani…) prend place dans une opposition plus large entre les « bons » (boni) et les « méchants » (crudeles) : « ce que tu as supporté », écrit-il à Euprepia, « est commun aux gens de bien ; mais ce que tu as fait est commun aux gens cruels796 ». La structure binaire de la société est donc exprimée par plusieurs répartitions complémentaires. À cet égard, il est frappant de constater qu’Ennode ne reprend pas l’opposition traditionnelle entre les « familles d’origine latine » et les « barbares ». Pour un défenseur de la romanité, cette attitude témoigne d’une évolution importante.
Epist. 1, 10, 3 à Jean : summam perfectionis adeptus es.
Epist. 1, 10, 6 à Jean : sub hac claritatis tuae intentione (…).
Epist. 1, 8, 1 à Firminus : iucunda sunt commercia litterarum docto auctore concepta : illa in quibus ad unguem politi sermonis splendor effulgorat, ubi oratio diues frenis peritiae continetur.
Epist. 1, 8, 2 à Firminus : Quis non personae talis in eloquentiae arce constitutus spernat affectum ? Grauat conscientiam perfectorum amor indocti.
Opusc. 2, 66.
Epist. 2, 15, 2 à Euprepia : Quod sustinuisti, commune cum bonis est : cum crudelibus, quod fecisti.