Fortement influencés par la tradition scripturaire et le néo-platonisme, les Pères de l’Église ont accordé une place centrale au symbolisme de la lumière. Liée à la connaissance de Dieu dans l’Ancien Testament, la lumière « illumine les hommes868 » qui refusent les ténèbres et exprime la divinité du Christ, de son baptême à sa transfiguration. Toutefois, les représentations de la lumière montrent que le symbolisme de la lumière ne traduit pas chez Ennode une expérience mystique ni cognitive. Il est résolument ancré dans la « catholicité » définie dans un sens théologique, le rayonnement universel de la véritable Église, mais aussi institutionnel, l’ensemble des églises unies et soumises à l’Église de Rome.
Les figures de la lumière sont presque tous des religieux ou des clercs, comme Speciosa, lux ecclesiae 869 : les exceptions (Faustus, son fils Avienus et Boèce) ont pour point commun d’être des êtres « sereins ». Or, la « sérénité » est la plus haute expression de la lumière religieuse : elle manifeste le rayonnement de la lumière divine : « disperse les nuées et les pesanteurs de la masse terrestre / et fais éclater ta splendeur ; car c’est Toi le ciel serein (…)870 ». Par extension, la « sérénité » est aussi la vertu des hommes qui font rayonner cette lumière dans l’obscurité, comme le montre encore le portrait de l’homme serein dans la Consolation de Philosophie : « l’homme serein à la vie bien réglée, / qui foule aux pieds le destin orgueilleux, / Dévisage bien droit l’une et l’autre Fortune / Et sait garder un front invaincu : la mer enragée et ses menaces / quand elle agite les flots qu’elle fait bouillonner (…) ne pourra l’émouvoir871 ». Or, ce portrait correspond à l’image de Faustus, « l’honneur de Rome », qui est l’incarnation de la lux romana. Figure éminente de l’aristocratie sénatoriale, questeur de Ravenne, Faustus est aussi un grand orateur : « (…) tu n’auras rien de commun avec les plus grandes [terres] si le Seigneur Faustus, essence de l’éloquence romaine, ne s’approche pas de toi avec sérénité872 ». Les lieux qu’il décrit bénéficient d’une nouvelle lumière, comme le montre sa description du Larius, le lac de Côme873 : « j’ai écrit cela (…) pour que le lecteur reconnaisse de cette façon qu’il vaut mieux lire une Côme de votre plume que la voir elle-même874 ». Mais cette lumière n’est pas seulement celle de la latinité. C’est celle d’une latinité au service de la religion chrétienne, comme le confirme une lettre d’Ennode au pape Symmaque qui proclame la « sainteté des belles lettres875 », celles « dans lesquelles on désapprend les vices876 ». Manifestant l’éclat de la noblesse par son rang, par son éloquence et sa vertu, Faustus présente une autre qualité qui en fait un ardent défenseur de la lux romana : nous avons vu qu’il fut, durant le schisme laurentien, le chef des partisans du pape Symmaque qui défendait une conception souveraine de l’autorité pontificale877, destinée à édifier une « métropole spirituelle 878 » resplendissante.
Jo. 8, 12, p. 1673 : ego sum lux mundi ; qui sequitur me non ambulabit in tenebris sed habebit lucem uitae ; « je suis la lumière du monde. Celui qui vient à ma suite ne marchera pas dans les ténèbres ; il aura la lumière qui conduit à la vie » (trad. La Bible de Jérusalem).
Ennod. epist. 2, 2, 2 à Speciosa.
Boeth. cons. 3, carm. 9, 25-26, éd. W. Weinberger, 1934, p. 64 (CSEL 67) : dissice terrenae nebulas et pondera molis / atque tuo splendore mica ; tu namque serenum (…).
Id., 1, carm. 4, 1-7, p. 7 : quisquis composito serenus aeuo / fatum sub pedibus egit superbum / fortunamque tuens utramque rectus / inuictum potuit tenere uultum, non illum rabies minaeque ponti / uersum funditus exagitantis aestum / (…) mouebit (trad. J.-Y. Guillaumin).
Ennod. epist. 1, 6, 3 à Faustus : (…) nihil tibi commune cum maximis, si ad te domnus Faustus Romani status eloquii, non serenus accesserit.
Voir commentaire de l’epist. 1, 6 : chapitre 4, p. 149.
Epist. 1, 6, 5-7 à Faustus : (…) haec ego (…) scripsi, sed ut ex istis lector agnoscat, Comum per stilum uestrum melius esse legere quam uidere.
Dict. 12, 1 : libemus litterarum numini.
Epist. 5, 10, 3 à Symmaque : sancta sunt studia litterarum, in quibus ante incrementa peritiae uitia dediscuntur.
Voir chapitre 6, p. 189-192.
Ch. Pietri, Roma Christiana, 1976, p. 1654.