La lux romana traduit donc aussi la renaissance de Rome à travers l’affirmation d’un pouvoir proprement romain, comme le montre la référence fréquente à des symboles traditionnels (les « aigles879 », la « curie » céleste880 », le « triomphe881 », « les bandelettes » de la tiare épiscopale882, etc.). Ainsi Ennode en appelle-t-il directement à la « curie céleste » pour féliciter le jeune consul Avienus : « ces choses-là, je les ai dites davantage avec des larmes de joie à ceux que le sang du martyre ou une confession éclatante a fait inscrire sur l’album de la curie céleste afin qu’ils confortent nos débuts par des succès futurs883 ». L’image équivoque de la curia caelestis convient parfaitement à l’éloge du jeune consul Avienus, le puer-senex qui incarne la continuité de l’aristocratie après l’Empire et la renaissance de l’antique curie. Elle montre que la joie d’Ennode n’est pas, ou du moins pas principalement, celle d’une revanche ou d’une restauration. Elle insiste sur le caractère religieux de cette renaissance. Les sénateurs sont remplacés par des saints, des martyrs et des confesseurs. La romanité sort des cendres de la Ligurie dans l’éclat de la catholicité.
Le symbolisme de la lumière est au cœur de la célébration de Rome et du pouvoir pontifical : porte-parole des partisans de Symmaque, Ennode prie Dieu, dans une lettre à Faustus, « de répandre l’éclat d’un siècle d’or884 » et, saluant le succès de Symmaque, donne finalement la parole à Rome, l’orbis parens qui, sur le point de « succomber885 », « se réjouit de l’éclat d’une nouvelle lumière886 ». Le thème de la lux romana ne se réduit donc pas au thème traditionnel de la lumière chrétienne mais il reflète l’avènement d’une nouvelle conception de l’Église – médiévale ? – dominée par le siège de Rome aussi bien dans le domaine de la doctrine que dans celui de la discipline ecclésiastique887.
Ennod. epist. 1, 5, 3 à Faustus : Stirpis suae gestatura aquilas agmina praeuius antecessit et ad principalem militiam iter uirtutis ostendit. Les aigles sont le symbole sacré des légions romaines. Ils incarnent ici la permanence de la romanité et l’impulsion donnée par Avienus pour le « combat capital ».
L’image de la curia caelestis apparaît plusieurs fois dans la littérature patristique avant Ennode : Tert. apol. 6 : curia deorum ; Aug. ciu. 2, 19 : angelorum curia.
Ennod. epist. 2, 14, 2 aux évêques africains : Quos habeat Christus milites, certamen ostendit ; qui triumphum mereantur, per bella cognoscitur.
Epist. 2, 14, 3 aux évêques africains : Pontificalis apicis infulas. Les infulae sont des « bandeaux » d’origine païenne, utilisées dans les ornements liturgiques chrétiens au sens de « pallium, mitre, chasuble ».
Epist. 2, 10, 3 à Faustus : Sed ista magis illis cum lacrimoso gaudio dixi, quos aut effusus sanguis albo curiae caelestis adscripsit aut clara confessio, qui secundis confirment primordia nostra successibus.
Epist. 1, 7, 1 à Faustus : deus omnipotens rerum statum (…) aurei saeculi candore perfundat.
Epist. 1, 3, 8 à Faustus : (…) quasi nescire alicui Christiano liceat malum, cui Roma subcumbit.
Opusc. 2, 129 : me (…) nouae lucis nitore gaudentem.
Voir chapitre 6, p. 190-192.