c) La cadence

1. Les clausules

Les quatre exemples précédents mettent en évidence des clausules rythmiques particulièrement intéressantes. La première (enar ra re pro po sito) suit un cursus tardus 957, la deuxième ( ger mina conua les cant) un cursus uelox et les deux suivantes (diuisi o ne dis trac ti et pepen di sset au di tu) un cursus planus. Aux clausules rythmiques se superpose le système classique fondé sur les mètres et la quantité des syllabes. Dans le premier cas, les six dernières syllabes « - ra re pro po sito » constituent un crétique-tribraque (– U – / UUU ) ; dans le second, conualescant forme un dichorée ( – U / – U ) ; dans les deux derniers (diuisione distracti et pependisset auditu), les dernières syllabes forment un crétique-spondée ( – U – / – – ). Ces clausules ne relèvent pas du hasard puisqu’elles correspondent aux structures métriques préférées d’Ennode958.

Exemples de clausules Structure rythmique Structure métrique
(…) enar ra re proposito cursus tardus Crétique-tribraque ( – U – / U U U )
(…) ger mina conualescant cursus uelox Dichorée ( – U / – U )
(…) diuisi one distracti cursus planus Crétique-spondée ( – U – / – – )
(…) pepen disset auditu cursus planus Crétique-spondée ( – U – / – – )

Ces exemples révèlent un aspect important de l’écriture d’Ennode : la plupart des phrases des épîtres respectent scrupuleusement les règles d’une des trois formes du cursus, alternance de syllabes toniques et de syllabes atones. Mais plus frappante encore est la coexistence, chez Ennode, du système classique (fondé sur le mètre et la quantité) et du système rythmique, celui de son temps (fondé sur l’accent) : loin de disparaître, les clausules métriques se superposent aux clausules accentuelles. Cette recherche esthétique est surtout visible dans les phrases importantes des épîtres, comme dans les sentences où Ennode condense un précepte et que les compilateurs médiévaux recueillirent dans les florilèges.

Exemples de sentences 959 Structure rythmique Structure métrique
Epist. 1, 1, 4 : graues hiatus patitur alienae gratiae com missa credulitas cursus tardus crétique-tribraque ( – U – / U U U )
Epist. 1, 1, 4 : omne crimen transit, qui uult de ci pere confidentem. cursus uelox double spondée ( – – / – U )
Epist. 1, 2, 1 : mens congressionis ignaua certaminibus ante periculum debet affectum. cursus planus crétique-spondée ( – U – / – U )
Epist. 1, 2, 5 : caue ne incipias minorem loquacitate prouocando hu milis aestimari. cursus uelox dichorée ( – U / – U )
Epist. 1, 2, 5 : quid laboris est iacentem superare et de eo triumphum ducere, qui se ante conflictum im pa rem confitetur ? cursus uelox double spondée ( – – / – U )
Epist. 1, 3, 1 : saepe meretur impudentia quod ne gabat urbanitas. cursus uelox double crétique ( – U – / – U U )
Epist. 1, 3, 5 : quem saepe gaudiis comitem adhibuistis, cum eo etiam elegissetis etiam ad uersa partiri. cursus planus crétique-spondée ( – U – / – U )
Epist. 1, 4, 6 : merito lamentis expiandum est, quod cum pudoris dispendio uenter adquirit. cursus planus crétique-spondée ( – U – / – U )
Epist. 1, 5, 7 : nefas sit hominem uno eodemque tempore uniuersa op ta ta promereri ! cursus uelox dichorée ( – U / – U )
Epist. 1, 5, 15 : (...) difficile est magna gaudentem parua loqui esse contentum. cursus planus crétique-spondée ( – U – / – U )
Epist. 1, 7, 1 : quam facilis nocendi uia, quotiens praecedenti opinione la bo rat imperitus. cursus uelox dichorée ( – U / – U )
Epist. 1, 8, 1 : iucunda sunt commercia litterarum docto auc tore suscepta. cursus planus crétique-spondée ( – U – / – U )
Epist. 1, 9, 4 : status innocens ruinae nequaquammisceatur alterius. cursus tardus crétique-tribraque ( – U – / U U U )
Epist. 1, 10, 2 : absit hoc a proposito (…) ut quem mente teneo, ista tantum uelim remunerati one contentum. cursus planus crétique-spondée ( – U – / – U )
Epist. 1, 10, 4 : plus timendum est, quotiens desideria nostra spes ui cina succendit. cursus planus crétique-spondée ( – U – / – U )

L’analyse des clausules confirme l’importance de la recherche esthétique dans ces épîtres où l’on peut déceler le rythme caractéristique de la phrase cadencée d’Ennode960.

Notes
957.

Voir G. Lindholm, Studien zum Mittellateinischen Prosarhythmus. Seine Entwicklung und sein Abklingen in der Briefliteratur Italiens, 1963.

958.

Voir Fougnies. Si l’on en croit cette étude sur les clausules dans la prose d’Ennode, on constate que les cinq clausules les plus fréquentes sont : le crétique-spondée (25, 8 %), le dichorée (20, 1 %) et le double crétique (14, 8 %), le crétique-tribraque (11, 9 %) et le double spondée (10, 4 %).

959.

Nous citons le texte d’Ennode d’après notre édition et non d’après les florilèges qui contiennent de nombreuses variantes s’expliquant souvent par la fonction du recueil (liturgique, pédagogique, spirituel, etc.).

960.

Le cas de la Correspondance d’Ennode n’est pas unique : la phrase de Symmaque, le modèle épistolaire par excellence, révèle une grande recherche métrique (Voir L. Havet, La prose métrique de Symmaque, 1892 ; K. Thraede, « Sprachlich-stilistisches zu Briefen des Symmachus », Rheinisches Museum für Philologie, 111, 1968, p. 260-289).