c) Les ambiguïtés de la rhétorique épistolaire

1. La modestie : affectée ou sincère ?

Pour s’assurer la bienveillance du destinataire, les épistoliers manifestaient une modestie qui est un lieu commun de la rhétorique antique989 : « De notre côté, nous qui sommes éloignés de l’enseignement des écoles, nous provoquons par les gouttelettes d’un aride talent les flots en quelque sorte d’un océan, comme si nous cherchions à lutter avec des lampes contre les rayons du soleil. La maigreur de ma science éclate aux yeux de tous et, à moins que la piété n’excuse mon bavardage, le fait d’avoir aimé est une perte pour mon honneur. Certes, l’inspiration de la langue trouve sa source dans la naissance et une noble pousse est habituellement animée par l’ardeur naturelle. Mais moi, je suis inférieur à ma famille ; moi, comme un étranger, je n’ai pas été comblé de vos dons par la plénitude du savoir ; moi, je suis seulement capable de vous louer plutôt que de vous imiter990 ». Le contraste entre la dépréciation d’Ennode (« gouttelettes d’un aride talent ») et l’éloge de son correspondant Firminus (« plénitude du savoir ») est si accentué qu’il suscite l’impression d’une humilité excessive dans laquelle les lecteurs modernes ne voient que la marque hypocrite d’une pompe affectée. Or, la Correspondance d’Ennode contient maints exemples de cette modestie : regrettant l’« aridité991 » et la « pauvreté992 » de sa langue, il reconnaît trop volontiers sa « petitesse993 » et son « humilité994 ». Pourtant, la signification de ce lieu commun est moins claire qu’il n’y paraît. En effet, il est difficile d’interpréter une telle modestie comme une marque d’affectation chez un auteur qui met en garde ses correspondants contre une « humilité » excessive qui ne traduirait en fait que de l’« arrogance » : « C’est la même chose de ne pas garder une limite dans l’arrogance et de la dépasser dans l’humilité995 ».

Notes
989.

Curtius, p. 154-158.

990.

Ennod. epist. 2, 7, 3-5 à Firminus : Nos ab scolarum gymnasiis sequestrati, arentis ingenii guttis quaedam oceani fluenta prouocamus, quasi lychnis contra solis radios pugnaturi. Mei macies longe se monstrat studii et, nisi excusetur pietate garrulitas, dispendium proprii pudoris est quod amaui. Vena quidem linguae a generis fonte trahitur et feruore genuino solet fetura nobilis incitari : ego mea sum inpar prosapia, me dotibus uestris quasi peregrinum scientiae plenitudo non tetigit, ego uos tantum laudare magis quam imitari ualeo.

991.

Epist. 1, 12, 4 à Avienus : ariditatem meam conloquii.

992.

Epist. 2, 12, 2 à Astyrius : lingua mendicus.

993.

Epist. 1, 3, 5 à Faustus ; epist. 1, 22, 1 à Opilion ; 2, 17, 2 à Constantius : paruitatem meam.

994.

Epist. 2, 12, 2 à Astyrius : ego (…) humilis.

995.

Epist. 1, 15, 1 à Florianus : Idem est terminum in adrogantia non tenere quod in humilitate transcendere.