8. – Ennode à Firminus

Première lettre à Firminus 1310 , parent d’Ennode vivant à Arles. Éloge appuyé de cet orateur qu’Ennode considère comme un symbole de l’excellence culturelle. Cette lettre programmatique est l’occasion d’un hymne au commerce épistolaire.

1. Agréable est le commerce épistolaire quand il émane d’un auteur érudit : c’est en lui1311 qu’éclate la splendeur d’un style poli à la perfection lorsque la richesse de l’expression est bridée par les freins de l’habileté. Quand, à force de travail, un homme minutieux a conduit à la lumière la veine abondante de son éloquence, alors sont remplis avec succès les devoirs épistolaires qui combleront les attentes du destinataire. 2. Mais lorsqu’un entretien rugueux révèle les limites étroites d’un maigre talent, qu’un auteur, en mettant en ordre ce qu’il a conçu1312, n’intercale pas le temps d’une nuit1313 pour prendre soin du style et que, par l’ambiguïté d’un discours nébuleux, il fait naître, de l’exposé même, une sorte d’aveuglement, qui, étant solidement établi sur la citadelle de l’éloquence, ne mépriserait pas l’affection d’une telle personne1314 ? L’amour d’un inculte pèse sur la conscience des êtres parfaits1315. 3. Mais la force d’une affection profonde n’est pas, dit-on, renforcée par les liens de la parenté. Il ne sait pas éprouver ce dont il est capable, celui que l’affection tourmente de ses aiguillons. Il n’en reste pas moins1316 que, d’ordinaire, les êtres parfaits jugent dignes de pardon ceux que leurs pas chancelants ont abandonnés sur les sentiers du genre épistolaire. D’ordinaire, vous êtes attentifs à ce que nous aurions voulu dire, chaque fois que nos propos n’expriment pas nos vœux. 4. Cependant j’ai alourdi le bagage d’une messagère1317 adaptée à cette tâche et j’ai fait parvenir ma lettre par l’intermédiaire de celle qui aurait pu me représenter de vive voix, avec la conviction qu’il y avait, grâce à la présence d’une médiatrice vertueuse, moins de risque pour nous d’avoir commis une faute. Adieu donc, mon cher Seigneur, et favorisez celui qui vous aime de bienfaits particuliers ! Qu’ainsi, la faveur divine exalte votre Grandeur1318 s’il est possible qu’elle puisse s’élever encore1319.

Notes
1310.

L’epist. 2, 7 révèle que Firminus est un parent d’Ennode (propinquus, prosapia). Il est probablement lié au Firminus qu’on présente parfois comme le père d’Ennode. Vivant à Arles, il avait entretenu des relations avec Césaire avant l’accession de celui-ci à l’épiscopat (Vita Caesaris, I, 8). Le ton révérencieux des epist. 1, 8 et 2, 7 laisse supposer que Firminus est relativement âgé en 503. Il faut donc probablement l’identifier avec l’orateur Firminus qui avait incité Sidoine Apollinaire à publier un neuvième livre d’épîtres et auquel Sidoine avait écrit deux lettres vers 480 (voir PLRE, « Firminus 4 », p. 471). Il reçut deux lettres d’Ennode (epist. 1, 7 et 2, 8).

1311.

La mise en valeur oratoire de illa renforce, non sans une certaine grandiloquence, l’éloge du « commerce épistolaire ».

1312.

Le terme conceptum relève de l’inuentio, l’expression in ordinem digerendo relève de la dispositio et l’elocutio désigne le style. Les considérations d’Ennode sur la composition d’une épître suivent fidèlement l’enseignement oratoire de Cicéron (voir inu. 1, 9 : partes autem eae quas plerique dixerunt : inuentio, dispositio, elocutio, memoria, pronuntiatio ; « Les parties [de l’art oratoire] sont celles que la plupart des maîtres ont indiquées : l’invention, la disposition, le style, la mémoire et l’action oratoire », trad. G. Achard).

1313.

L’image cicéronienne du travail nocturne, la lucubratio, entretient l’idée que le travail des grands auteurs n’a pas changé (Cic. diu. 2, 142 ; fam. 16, 26, 1). Mais cette phrase pourrait être construite différemment si l’on considère que la négation nec porte non pas sur le verbe conjugué interserit mais sur le gérondif digerendo. Dans ce cas, nous devrions interpréter noctem dans un sens figuré (« obscurité »). Nous traduirions alors : « Mais lorsqu’un style rude révèle les limites d’un maigre talent et qu’un auteur, au lieu de mettre en ordre ce qu’il a conçu, met de l’obscurité dans le travail de son style (…) ».

1314.

Les exigences esthétiques des correspondances aboutissent à une vision binaire de la société où les perfecti, qui préservent l’excellence de la latinité, se distinguent de façon radicale des indocti, de tous les autres. L’ambition culturelle et sociale de la Correspondance exclut les indocti de l’amicitia épistolaire.

1315.

Cette phrase constitue une sentence. Ennode portait une grande attention à ce type de phrase où était condensé un précepte. L’analyse rythmique des derniers mots [perfecto–r(um) amor indocti] permet notamment d’y reconnaître la clausule préférée d’Ennode : le crétique-spondée – U – / – – (voir Fougnies).

1316.

Il y a sans doute un lien logique entre sed, qui introduit une objection, et tamen, qui répond à l’objection.

1317.

Perlatrix semble être un néologisme (voir aussi epist. 1, 22, 2 : querellarum perlatrices litteras prorogaui).

1318.

Le terme apex désigne « la pointe », « le sommet », « l’aigrette » et par extension « l’honneur ». Mais il désigne aussi la partie supérieure d’une lettre et, par métonymie, la lettre et son contenu (voir Sidon. epist. 6, 8, 1 : apicum oblator : « le porteur de cette lettre »). Ce double sens est sans doute l’occasion d’un jeu de mot.

1319.

Cette formule exprime la conception chrétienne de la nobilitas qui se fonde sur deux critères, le premier traditionnel (la naissance, la position sociale et la culture aristocratique), le second moral (l’excellence de la vertu et de la foi chrétienne) : cette conception est souvent évoquée dans la littérature patristique depuis le quatrième siècle (voir Salzman, 2002, p. 213-219).