11. – Ennode à Castorius et Florus

Unique lettre collective à Castorius et à Florus 1360  : Ennode critique leur silence épistolaire. Ils savent bien pourtant que l’épître est la seule conversation possible entre absents, qu’elle entretient l’amitié par delà les distances. N’ont-ils pas reçu l’enseignement de « Faustus, l’honneur de Rome » ?

1. Vous devriez réconforter celui qui vous aime par la faveur de votre conversation et exprimer la diligence de votre amitié par le témoignage d’un entretien parce que l’affection muette est presque l’équivalent de l’ingratitude et que l’absence de lettres entame la force de l’amour1361. Seule l’offrande d’une lettre porte remède au cœur des absents1362, elle qui, par une sorte d’artifice de l’esprit, dépeint par l’écriture ce qu’elle dit1363. 2. Mais nous pensons que ces recommandations sont inutiles pour vous que de nobles enseignements stimulent et qui êtes frères1364 par le sang et la culture1365. Il n’est rien, parmi les arts libéraux1366, que vous puissiez ignorer sans encourir le reproche de négligence, vous qui en plus d’une glorieuse naissance avez reçu l’enseignement de Faustus, l’honneur de Rome. Il faut donc davantage avouer que je ne mérite pas d’obtenir ce que je demande, que prétendre que vous ignorez ce que vous devez offrir. 3. Mes chers Seigneurs, en exprimant avec la plus profonde humilité les devoirs de mes salutations, je vous prie, un jour enfin, de n’oublier ni mon admonition ni votre engagement et de m’écrire en retour, tâche pour laquelle il ne convient pas de vous montrer négligents parce que ne saurait manquer ni à votre conduite une sainte conscience1367 ni une expression féconde à vos entretiens.

Notes
1360.

Florus et Castorius se touvent probablement à Ravenne où ils sont les protégés de Faustus. Si Castorius n’est connu que par cette lettre d’Ennode, nous savons que Florus exerçait à Ravenne, en 510, la charge d’avocat avec Decoratus (voir la notice prosopographique sur Florus, epist. 1, 2 note 1).

1361.

Voir epist. 2, 5, 3 : In damnum gratiae parcitas contingat ista uerborum. (« l’économie de vos paroles porte atteinte à notre relation amicale »).

1362.

Au génitif pluriel de la troisième déclinaison, la confusion entre les désinences -um et -ium est de plus en plus fréquente dans le latin tardif. Toutefois, A. Dubois remarque, à l’aide d’un relevé précis des emplois dans l’œuvre d’Ennode, qu’« il faut distinguer selon qu’il s’agit de substantifs ou de participes » (p. 239). Si les noms suivent dans l’ensemble l’usage classique, on rencontre, pour les participes substantivés, presque autant de génitifs pluriels en -um (42 exemples) qu’en -ium (49 exemples).

1363.

Ennode rappelle ici une vertu traditionnelle de l’épître qui consiste à abolir les distances et à rendre présents les absents (voir epist. 1, 11, 1 ; 1, 12, 3 ; 1, 17, 1 ; 1, 21, 1 ; 1, 23, 1 ; 2, 24).

1364.

Mot à mot : « vous qui avez le sang et la culture de deux frères » ; consortium peut être en effet le génitif pluriel de consors qui signifie « frère », en particulier chez les poètes (voir Ov. met. 11, 347 ; Tib. 2, 5, 24). Toutefois, une autre construction est possible si l’on considère, comme le fait A. Dubois (p. 505), une « asyndète triple » entre les derniers mots, ce qui donnerait la traduction suivante : « (…) vous qui avez le privilège du sang, de la culture, de la confraternité ».

1365.

L’excellence culturelle et la naissance sont, avec l’excellence morale, les critères qui définissent la « noblesse ». Voir epist. 1, 1, 5 : Vides quantum ad unguem polita conuersatio pretiis bene nascentis adiungat ! Quod iubar sanguinis praestitit, superauit industria castigantis ; « Tu vois quel immense mérite une conversation polie à la perfection ajoute aux vertus d’un homme bien né. Ce que la noblesse du sang a donné, le travail d’un maître l’a dépassé ».

1366.

Selon Sénèque, les bonae artes, qui sont le fondement des études libérales, sont les sciences dignes de l’homme libre car elles ne servent pas à gagner de l’argent mais à libérer l’esprit (Sen. epist. 88 ; voir aussi Cic. Arch. 4 ; inu. 1, 35 ; de orat. 3, 3, 127 ; Tusc. 2, 27). Définies par les pédagogues antiques comme les disciplines préparatoires à l’étude de la philosophie, les bonae artes désignent, à la fin de l’Antiquité, la matière principale des études. Leur liste fut établie par Martianus Capella, vers 420, dans les Noces de Mercure et de Philologie. Au nombre de sept, elles furent classées dans un ordre qui fut conservé tout au long du Moyen Âge : grammaire, rhétorique, dialectique, arithmétique, géométrie, musique, astronomie. Contemporain d’Ennode, Boèce réunit les quatre dernières dans le quadriuium (arts du nombre) alors que les trois premières formèrent le triuium (arts de la parole). Symmaque célèbre les bonae artes comme les « semences de la gloire » et comme les « mères des honneurs » (voir Symm. epist. 1, 20, 2).

1367.

Sur les sens de conscientia, voir epist. 1, 1, 3 note 8. L’expression sancta conscientia, qui désigne une « conscience droite », se trouve notamment chez Sidoine Apollinaire (epist. 2, 7, 2). Elle confirme l’aspiration morale de l’enseignement (religieux ?) d’Ennode. Le lien entre l’éloquence et la recherche de la vertu, déjà présentée par Quintilien comme un idéal (inst. 12, 1), est un thème majeur de la Correspondance qui tente de mettre la culture antique au service de la morale chrétienne. Il explique aussi la présence d’extraits de ses épîtres dans de nombreux florilèges médiévaux de sentences morales (exhortationes morales ou prouerbia monastica).