18. – Ennode à Avienus

Deuxième lettre à Avienus. Avienus ne doit pas craindre d’imiter son excellent père. Il ne doit pas avoir peur d’affronter les dangers. À travers ces conseils de rhétorique, Ennode exhorte le jeune consul à passer à l’action.

1. Qu’il est bien de voir que tu imites avec bonheur le modèle que tu récuses par modestie et que, lorsque tu te plains qu’on stimule ta Grandeur par des exemples difficiles, tu as montré la majesté oratoire à laquelle, en avocat1460 habile, tu te dérobes ! J’admets l’estimable excuse de la crainte qu’inspire en toi la veine d’un riche talent. Mais je ne veux pas que, parce qu’il se trouve placé parmi les exemples invoqués pour t’encourager, tu craignes ton père que les gens de bien doivent honorer ; c’est de lui précisément que viennent les paroles que tu prononces. 2. Je sais quelle terre produit un or plus noble, quel est le sol dont le sein alimente des filons plus rutilants. Souvent, un effort efficace me révèle, en ma recherche, les gisements nourriciers de l’élément fauve. Je sais quels coquillages renferment les superbes perles de grand prix, d’où vient la pierre1461 capable de conférer prestige aux pouvoirs. Ce n’est ni à l’impéritie que tu dois imputer ce que j’ai fait, ni à l’erreur. Le rejeton d’un homme courageux découvre la forme des armes parmi les embrassements de son père1462 et, tout en obéissant à la nature, il apprend à aimer la peur. 3. La racine des savants, Virgile, qui a formé votre1463 éloquence, rappelle que ce fils fut aussi encouragé par son père disant : « mon enfant, apprends de moi le courage1464 » et ailleurs : « Enée, ton père…1465 ». Celui-ci se portait-il par hasard1466 aux combats avec des bras déjà puissants et le croyait-on capable de livrer des guerres menaçantes avec la force d’un homme ? Mais en fait son courage, mieux animé par les exemples récents que par des conseils, attendait l’épanouissement de son corps. 4. Les connaisseurs de la nature1467 rapportent que les aigles exposent leurs petits aux rayons du soleil, au seuil même de la vie quand ils se dépouillent des tuniques de l’œuf, et reconnaissent l’éclat de leur race en lui opposant l’immensité de son rayonnement1468. Y a-t-il par hasard de l’impiété1469 dans cette mise à l’épreuve menaçante1470 alors que, dans la sélection, le verdict du jugement est juste ? Ils ne veulent pas qu’un de leurs petits périsse mais ils ne reconnaissent pas pour leurs ceux qui n’ont pas résisté. Car il est juste que cette supérioritéparmi les oiseaux soit considérée comme génitrice1471 de vainqueurs. 5. Ainsi donc, à présent, toi, mon doux ami, persévère dans tes heureux commencements et, avec l’aide de Dieu, ressemble à ton père par la culture comme à ton aïeul par le nom1472. Ne juge pas pesant le conseil que je te donne ! Et parce que moi, je te juge en considérant ton origine, toi, ne sois pas inquiet de tes débuts. Il fut aussi débutant celui que l’on redoute. Et chaque fois que le doigt trace dans la terre un cheminement d’eau à travers la poussière1473, tout ce qui coule en premier est trouble. 6. Pour le reste, adieu, mon cher Seigneur. Honore celui qui t’aime des présents de lettres fréquentes, ce sont des attentions qu’il ne te convient pas de négliger, si tu gardes le souvenir de moi.

Notes
1460.

Adsertor est parfois synonyme de defensor : voir Quint. inst. 12, 6, 39.

1461.

Il s’agit probablement du marbre ou du porphyre. Les deux pierres sont en effet d’un grand prestige (genius) et sont utilisées pour faire rayonner le pouvoir (pour le marbre, voir Stat. silu., 5, 1, 230 ; pour le porphyre, voir Plin. nat. 36, 88).

1462.

Ennode semble faire allusion au petit Astyanax effrayé par l’aspect de son père en armes (voir Hom È re, Iliad. 6, 466-479 : « Ainsi dit l’illustre Hector, et il tend les bras à son fils. Mais l’enfant se détourne et se rejette en criant sur le sein de sa nourrice à la belle ceinture : il s’épouvante à l’aspect de son père ; le bronze lui fait peur, et le panache aussi en crins de cheval, qu’il voit osciller, au sommet du casque, effrayant », trad. P. Mazon).

1463.

Le passage soudain à la seconde personne du pluriel tient au fait que Virgile a formé autant l’éloquence d’Avienus et que celle de son père.

1464.

Verg. Aen. 12, 435.

1465.

Ibid., 440. En fait, l’expression pater Aeneas signifie « le vénérable Enée ». Mais, dans ce passage de la lettre consacré aux rapports entre un fils et son père, Ennode joue naturellement sur le double sens de pater.

1466.

L’adverbe interrogatif numquid est fortement ironique (= an forte). Il introduit une question oratoire qui soulève une hypothèse invraisemblable ayant pour seul but de faire ressortir la véritable cause exprimée dans la phrase suivante introduite par sed.

1467.

Scientes rerum : cette périphrase désigne les naturalistes, les physiciens, les savants qui observent le comportement des animaux et l’ordre de la nature.

1468.

Le thème de l’aigle soumettant ses petits à « l’épreuve du soleil » pour reconnaître la pureté de la race connut un grand succès dans la littérature tant païenne (voir Lucan. 9, 902-906 ) que chrétienne (voir Ambr. hex., 5, 8, 18, 60). Ennode l’utilise deux fois (epist. 1, 18, 4 et opusc. 2, 150). L’image de l’aigle est au cœur du symbolisme chrétien puisqu’il désigne l’un des quatre évangélistes, Jean (voir Animali Simbolici, Alle origini del Bestiario Cristiano I (agnello-gufo), 2002, p. 111 : « ancora un’altra notizia zoologica, anch’essa di remota derivazione aristotelica, ha goduto di grande popolarità tra gli autori cristiani, quella della cosidetta « prova del sole » cui l’aquila sottopone la vista dei suoi piccoli per confermarne la purezza di razza ; sulla falsariga di Plinio, non solo Ambrogio ce la descrive minutamente nell’Esamerone, ma quasi tutti latini – da Tertulliano a Ennodio – vi fanno ricorso a sostegno del dettato biblico, per impreziosire il simbolismo cristiano dell’aquila ; cosi per esempio Agostino ne fa il simbolo dell’evangelista Giovanni, l’unico dei quattro che si è dimostrato capace di contemplare la divinità di Cristo : ‘L’aquila è Giovanni…’ »).

1469.

Impietas : manquement à la pietas, aux devoirs envers ses proches.

1470.

Pour une justification de la leçon destricta, voir « Prolégomènes », p. 284, notice 10.

1471.

Genetrix est un terme poétique (voir Verg. Aen. 1, 590 ; 2, 788 ; voir Lucr. 1, 1).

1472.

Verg. Aen. 6, 768 : te nomine reddet ; l’hypotexte virgilien donne du prestige à l’évocation de l’auus d’Avienus probablement le père de Faustus, Gennadius Avienus, consul en 450. En effet, celui-ci porte aussi le nomen Avienus. Sidoine Apollinaire critiquait le népotisme de ce personnage qui, lorsqu’il était en charge, s’employait à obtenir des faveurs « pour ses fils, ses gendres et ses cousins » (Sidon. epist. 1, 9, 3-4).

1473.

Mot à mot : « chaque fois que le doigt grattant la terre, le cours de l’eau s’écoule à travers la poussière ».