22. – Ennode à Opilion

Première lettre à Opilion 1521 . Après avoir été comblé de faveur par Opilion, Ennode a subitement perdu son défenseur. Opilion n’a même pas répondu aux reproches précédents. Ennode fait une nouvelle tentative dans l’espoir de réaliser son double souhait.

1. Votre Éminence avait commencé par élever mon humble personne avec l’espoir d’une dignité qui dépassât mes vœux et, à la manière des institutions célestes, par rendre ses bienfaits plus éclatants en ne pesant nullement mes mérites à la balance du jugement et même par donner1522 du prix à ses présents en négligeant la critique qui montrait qu’ils étaient immérités, puisque l’affection qu’on témoigne aux humbles n’obéit pas à la nécessité et qu’elle manifeste sa beauté par un éclat resplendissant de pureté1523. 2. Longtemps, donc, assuré d’une confiance aussi grande1524 – après celle de Dieu1525 – je n’ai pas craint tout ce que promettait le venin des calomniateurs1526. Mais lorsque l’oubli que vous avez manifesté1527 m’a ramené à ma poussière première1528, je vous ai envoyé – ce qui tient lieu de consolation à ceux qui sont privés d’avocat – des lettres que je considérais comme les porteuses de mes plaintes1529, en me promettant que leur importunité1530 me vaudrait une réponse. Mais peut-être votre Grandeur pourrait-elle alléguer que le nombre croissant des charges1531 qui lui incombent fait que vous ne remplissez plus de tels devoirs1532 ? Je répliqueraique votre Altesse occupait le même sommet quand elle m’adressait des lettres. 3. Je me ramène cependant à la règle de l’écriture épistolaire de peur que l’introduction de la prolixité n’engendre le dégoût et que la supplique1533 qui <les> a réclamées ne vous pousse1534 au contraire à refuser ces lettres. Mon cher Seigneur, je m’acquitte des respects de mes salutations et, vous étant lié par le cœur, je vous demande des nouvelles de votre santé avec le désir de réaliser mon double souhait1535 par l’indication que donnera votre réponse.

Notes
1521.

D’après J. R. Martindale et C. Pietri, Opilion, qui reçut deux lettres d’Ennode (epist. 1, 22 et 5, 3) doit être identifié avec Venantius Opilio, uir clarissimus et inlustris, préfet du prétoire en Italie, patrice et consul en 524 (voir PLRE, « Venantius Opilio 5 », p. 808-809 ; PCBE II, « Opilio 4 », 1557-1558).

1522.

Dare pretium muneribus est sur le même plan que adtollere et facere.

1523.

Sur l’expression per sudum rutilans, voir epist. 1, 1, 3 note 6.

1524.

Talis est souvent employé comme un équivalent de tantus dans le latin tardif (voir Goelzer,Avit, p. 618).

1525.

Ennode veut dire qu’il avait l’appui (fultus) d’une telle présomption en la bienveillance d’Opilion, celle-ci venant naturellement après celle de Dieu.

1526.

Ennode se dit parfois victime de la médisance (voirepist. 1, 7, 2). Si ses déclarations font sans doute allusion à des affaires précises, elles doivent aussi être interprétées au vu de ses efforts permanents pour entretenir la concordia sociale. Car les calomnies menacent les liens d’amicitia et la pietas (voir Y. Rivière, Les délateurs sous l’Empire romain, 2002, p. 88-97 « la discorde »).

1527.

Nous analysons uestri comme un génitif subjectif même si Ennode emploie parfois la même expression avec un génitif objectif. Voir epist. 1, 23, mei obliuio : « l’oubli de moi », c’est-à-dire « l’oubli dont je suis l’objet ».

1528.

Cette périphrase désigne l’origine.

1529.

Quasi introduit une marque de subjectivité. Le terme perlatrix joue sans doute sur le rôle dévolu habituellement au porteur. Dans l’epist. 1, 8, la dame chargée de remettre la lettre d’Ennode à Firminus est également qualifiée de perlatrix (epist. 1, 8, 4 à Firminus : idoneae tamen perlatricis uiaticum praegrauari).

1530.

Sur le thème de l’importunité, voir epist. 1, 3, 2 ; 1, 25, 2.

1531.

Il n’est pas possible de rendre dans la traduction l’hyperbate per occupationum…incrementa qui a pour but d’insister sur les multiples occupations que les correspondants évoquaient pour justifier leur paresse épistolaire, sur leur « dis-traction », leur écartèlement.

1532.

Il s’agit des officia de l’épître au premier rang desquels se trouve la uicissitudo, c’est-à-dire la « réciprocité » de la correspondance qui oblige à répondre à toute épître.

1533.

Adlegatio : si ce terme peut avoir le sens épistolaire de « réponse » (voir Greg. M. epist. 5, 3), il faut l’entendre ici dans un sens juridique : l’adlegatio désigne le mémoire écrit remis à une autorité, politique ou judiciaire, pour faire valoir une cause, une sorte de « supplique », l’argument qu’on fait valoir pour se justifier (voir Hermog. dig. 4, 4, 17). Adlegatio ne pouvant être que l’antécédent de quae, le sens littéral de la proposition relative est le suivant : « la supplique qui <les> a réclamées ».

1534.

Le verbe facere, employé avec l’accusatif et l’infinitif passif, introduit un type de « proposition infinitive qu’on pourrait appeler impérative » (voir Dubois, p. 464). Il y a trois autres exemples de cette construction dans les livres I et II : epist. 1, 3, 4 : quae ex sua fecit miseratione transferri ; epist. 1, 7, 2 : facinus credi facis ; 1, 14, 6 : ea indicari faciat.

1535.

Le premier souhait consiste à recevoir des nouvelles de la santé d’Opilion et le second, à recevoir une réponse d’Opilion avec des indications sur l’état d’une affaire, peut-être un procès, comme l’indique le choix de plusieurs termes qui peuvent avoir une signification juridique (censurae, defensore, allegatio).