26. – Ennode à Faustus

Dixième lettre à Faustus. Sur les ordres de son évêque (Laurent de Milan), Ennode demande à Faustus d’intervenir, en sa qualité de questeur du palais 1570 , dans la succession de l’avocat du fisc Mauricellus dont toute la Ligurie garde un souvenir terrible. Que Faustus remplisse lui-même cette charge !

1. Une lettre répond aux vœux et aux désirs quand, aux yeux de qui vous aime, elle prête assistance aux impérieuses nécessités d’autrui. Que je voudrais, si mon sacerdoce ne me l’interdisait, que la quiétude de nombreuses personnes fût souvent troublée1571 afin d’acquitter la dette d’une charité inébranlable en prêtant ma voix à leurs difficultés1572 ! 2. C’est sur les ordres de Monseigneur, votre Père1573, que je m’acquitte du devoir du présent message. Veillant1574 à la sécurité de tous, son esprit sacrifie sa tranquillité à l’intention suivante : il est préoccupé de voir que la mort de Mauricellus1575 n’a pas encore mis un terme aux malheurs des Ligures. En effet, notre province fait face à des périls renaissants comme si celui que j’ai nommé n’était pas enfermé dans la tombe. Certains, s’efforçant d’obtenir par l’intermédiaire d’individus malhonnêtes la charge d’avocat du fisc1576, montrent, avant le succès de leurs vœux, ce qu’ils se préparent à faire dans cette charge. 3. Quant à moi, je n’ai pas caché la réflexion de votre Eminence sur l’intérêt public, en donnant l’assurance que, avec le soutien de Dieu, vous ne confiez à personne la charge dont j’ai parlé1577. Mais l’anxiété des provinciaux pense que tout ce qu’elle redoute peut se réaliser. C’est de Monseigneur l’Evêque que j’ai reçu la mission1578 de cette supplique, celle de m’adresser à votre conscience par l’hommage d’une lettre pour éviter que la fourberie de tel ou tel ne conduise à l’accomplissement de pareille chose. 4. De votre côté, conservez avec soin1579 votre promesse avec la plus grande fidélité en gardant l’intégralité de votre résolution. De mon côté, en rendant les devoirs de mes salutations, j’ai garanti par mon témoignage ce que je m’étais chargé de vous transmettre. J’espère toutefois être instruit par l’office d’une lettre de ce qui aura été décidé sur cette affaire.

Notes
1570.

Le questeur du palais n’avait pas dans ses prérogatives de s’occuper des affaires fiscales ni de la succession de l’aduocatus fisci. Sous Théodoric, l’administration fiscale relevait de la responsabilité du comte du patrimoine (voir Delmaire, p. 57-63).

1571.

Quieta est le sujet du verbe titubare qui est intransitif.

1572.

Dubium : « situation critique », « danger » (voir Sall. Catil. 52, 6 : in dubio esse, « être en danger »).La fin de la phrase signifie : « …en mettant mes paroles au service de leurs dangers ».

1573.

Il s’agit de l’évêque Laurent de Milan.

1574.

Pour une justification de la leçon prouidit et, ligne suivante, de uidit, voir « Prolégomènes », p. 285, notice 14.

1575.
Cet aduocatus fisci n’est connu par aucun autre témoin. Toutefois, le témoignage d’Ennode sur les excès de Mauricellus rappelle les conseils de modération que Théodoric adresse à l’aduocatus fisci Marcellus, vers 507/511, après l’avoir nommé à cette charge (voir Cassiod. uar. 1, 22).
1576.

La charge d’aduocatus fisci (« avocat du fisc ») a été établie sous Hadrien pour défendre le fiscus impérial durant les procès (voir Dig. 28, 4, 3 ; voir Der Neue Pauly. Enzyklopädie der Antike, I, p. 136-137).

1577.

Cette prière en dit long sur la répartition des pouvoirs entre l’Église et l’Etat : en effet, elle révèle l’intervention directe d’un évêque dans l’administration publique et sa volonté d’y voir accéder des hommes de confiance (Faustus est l’ami d’Ennode, diacre de Milan). En cherchant à étendre le domaine d’influence de l’évêque dans l’administration publique, cette épître montre l’évolution des rapports entre l’Église et l’Etat. On est loin de « la doctrine de non-immixtion » qui, au milieu du IVe siècle, délimitait nettement les domaines respectifs du prince et des évêques suivant le principe du Reddite Caesari (voir J. Gaudemet, La formation du droit séculier et du droit de l’Église aux IV e et V e siècles, 1957, p. 197-200).

1578.

Notre traduction ne parvient pas à rendre le jeu de mot prouincialium / prouincia.

1579.

Solliciti est apposé au sujet de custodite et employé adverbialement. Il équivaut à sollicite.