Première lettre à Laconius 1642 , consiliarius du roi burgonde Gondebaud et ami d’Ennode : vibrante condamnation du silence épistolaire qui porte atteinte à l’affection. Ce rappel de principe est l’occasion de resserrer les liens avec Laconius.
1. Jamais, entre amis 1643 , le silence n’est un châtiment approprié à l’offense. Le caractère extraordinaire de la vengeance frappe plus durement son inventeur que le coupable. Il est sacrilège de corriger les fautes en commettant des fautes, quand, par l’empressement à soigner, celui qui porte remède tombe malade lui-même 1644 . J’ai voulu imiter le silence 1645 que vous m’avez infligé jusqu’à présent sans vous souvenir de moi, mais, en homme doux, je n’ai pas pu égaler le mépris des cœurs fermes. 2. Je suis vaincu par la fragilité de ma nature, je l’avoue ; et – ce que vous considérez, je crois, comme un défaut – j’ai compensé, parce que je vous aime davantage, votre abstention à écrire par l’effusion de mon bavardage et j’ai apaisé la douleur d’un long silence par l’abondance de mes propos : certes, j’attendais de vous un bienfait précurseur sous forme d’une lettre 1646 , mais je n’ai pas voulu me refuser à moi-même une réponse en gardant longtemps le silence, persuadé de ne pouvoir donner forme à un entretien qu’en vous entretenant moi-même. 3. Aussi, mon Seigneur, en vous exprimant l’hommage respectueux des salutations qui vous sont dues 1647 , je vous prie de recevoir avec les égards habituels le porteur de la présente qui vous est spécialement envoyé et de retrouver l’usage de l’écriture dont vous avez perdu l’habitude pour éviter que l’économie de vos paroles ne porte atteinte à notre relation amicale 1648 .
Ennode fit la connaissance de Laconius à Vienne où il avait accompagné l’évêque de Pavie Épiphane, chargé par le roi goth Théodoric d’obtenir la libération d’un grand nombre de prisonniers italiens. Les deux hommes ont probablement tissé des liens au cours de la négociation dont ils furent les principaux protagonistes : Ennode était prédisposé, semble-t-il, à négocier avec les Burgondes en raison de ses origines familiales. Nous savons que son plus célèbre aïeul, Avit, fut élu empereur grâce au soutien des Burgondes qui entrèrent en conflit avec les Romains après la déposition d’Avit au profit de Majorien. Ce rapport entre la famille d’Ennode et le pouvoir burgonde explique peut-être sa présence au côté d’Épiphane et son rôle dans la négociation avec Laconius qui organisa finalement la libération des prisonniers (Ennod. Vita Epiphanii, 168-170). Ennode adressa trois lettres à Laconius : epist. 2, 5 ; 3, 16 ; 5, 24 (PLRE, « Laconius », p. 653).
Le début de cette lettre (numquam inter amantes) n’est pas sans rappeler celui de la précédente (nulli dubium est inter prudentes). Faut-il voir dans ces similitudes lexicales un des critères qui ont présidé au classement des épîtres ? (voir epist. 2, 6 note 2 ; 2, 8 note 7 ; etc.).
Il semble que dum (+ indicatif) soit équivalent à cum (+ subjonctif) et qu’il faille comprendre ceci : « (…) alors que [normalement entre amis] l’empressement à soigner [l’autre] fait que celui qui porte remède se rend lui-même malade ». Le remplacement de cum par dum est fréquent dans la langue tardive (voir Goelzer,Avit p. 341 : « le plus souvent dum avec l’indicatif remplace indûment cum avec l’imparfait du subjonctif pour signifier l’enchaînement des faits dans un récit »).
Cet argument (la justification du silence par celui du destinataire) est développé dans l’epist. 2, 2 à Speciosa.
Praeuium munus in litteris : mot à mot « un présent précurseur consistant en une lettre ».
L’adjectif verbal debendae a le sens d’un participe futur passif : « <qu’il me reste> à vous devoir ».
Cette chute constitue une sentence : l’analyse rythmique indique que les deux derniers mots (ista uerborum) reproduisent la clausule préférée d’Ennode : le crétique-spondée – U – / – – (voir Fougnies).