10. – Ennode à Faustus

Onzième lettre à Faustus. La déclamation de son fils Avienus montre que ce dernier a hérité des talents oratoires de son père. Mais qui peut encore en juger en Ligurie ? La correspondance de Faustus permet à Ennode de ne pas sentir les dommages causés par les ennemis.

1. Si le Souverain céleste était attentif à mon mérite, j’obtiendrais ou de piètres récompenses ou de grands châtiments et, capable de me juger moi-même, je ne tendrais pas par mes vœux à ce que je ne pourrais atteindre par mes mérites. Mais rendons grâce à Celui qui, pour nous éviter l’orgueil, retranche nos péchés pour faire grandir notre espérance 1720 . 2. Je dois cet exorde aux déclamations 1721 du Seigneur Avienus 1722 qui, sans être encore entièrement guéri 1723 , a délivré mon cœur des chaînes de l’inquiétude alors que les vœux de mon cœur anxieux étaient encore suspendus entre espoir et crainte. Fidèle à sa nature, il a montré quel était le tonnerre de son éloquence. Mon jugement m’avait certes fait prévoir ces prouesses 1724 et je reconnaissais le filon nourricier d’un noble métal 1725 dans les trésors qu’il avait produits ; mais pécheur même en cela, j’ai eu peine à croire à la réalisation de ce que je ne méritais pas d’obtenir. 3. Mais je dis la vérité, j’en atteste la divine clémence : s’il est en Ligurie des gens capables de juger du génie et de l’éclat littéraires 1726 , ils ont cru que vous aviez travaillé à cette déclamation qu’une intelligence déjà vénérable chez un enfant 1727 , prenant les devants sur l’âge, a portée à la perfection. Mais tout cela, je l’ai dit davantage, avec des larmes de joie, à ceux que leur sang répandu 1728 ou leur confession éclatante a fait inscrire sur l’album de la curie céleste afin qu’ils confortent nos débuts par des succès futurs 1729 . 4. Vous saluant avec l’humilité et le respect d’un serviteur, je souhaite me réjouir 1730 au milieu des maux, quels qu’ils soient, infligés par nos adversaires 1731 quand vous délivrez mon cœur par de telles satisfactions 1732 . Car il n’est rien en quoi nous puissions ressentir les dommages des ennemis. Ce que 1733 Dieu nous a donné, la méchanceté des hommes ne saurait l’enlever.

Notes
1720.

Faut-il considérer cet exorde, « qui est dû au Seigneur Avienus », comme une citation d’une dictio prononcée ou écrite par le jeune consul ?

1721.

Le terme dictio désigne des compositions de rhétorique écrites ou orales (voir les vingt-huit dictiones d’Ennode qui évoquent les déclamations de ses élèves Parthénius, Arator, Avienus etc.).

1722.

Avienus : consul en 502, fils de Faustus et deuxième destinataire de la Correspondance d’Ennode, après Faustus (Ennode lui adressa vingt-deux épîtres). Le ton de cette épître rappelle beaucoup celui de l’epist. 1, 5 à Faustus dans laquelle Ennode dresse un portrait très élogieux du jeune Avienus dont les qualités naturelles, la persévérance et l’accession au consulat marquent la renaissance de leur famille commune (sur les liens de parenté entre Faustus et Ennode, voir commentaire, chapitre 5, p. 156-158).

1723.

Allusion probable à quelque maladie d’Avienus qu’il faut peut-être rapprocher de l’epist. 1, 20 à Faustus dans laquelle Ennode remerciait le Ciel pour le guérison de jeunes enfants de la famille de Faustus.

1724.

Ennode souligne souvent la perspicacité de son jugement lorsqu’il a été le premier à discerner le talent des jeunes orateurs : voir epist 1, 1 à Jean ; epist. 2, 13 à Olybrius.

1725.

Naturam respiciens ; altricem nobilis metalli uenam : l’éloge d’Avienus est avant tout l’occasion de célébrer leur famille commune, comme c’était déjà le cas dans l’epist. 1, 5. La principale qualité d’Avienus est donc en fait de révéler les talents qui caractérisent sa lignée.

1726.

Le jeune diacre d’origine gauloise porte un jugement sur la pauvreté culturelle de la Ligurie. Cette déclaration est même étonnante si on en juge par l’enseignement de Deutérius à Milan, l’un des maîtres d’Ennode (epist. 1, 19), ou par l’enseignement d’Ennode lui-même (voir P. Rich É, p. 62-64).

1727.

On reconnaît le thème du puer-senex développé notamment dans l’epist. 1, 5 à propos de ce même Avienus qui incarne la grandeur du passé impérial mais aussi l’éclat d’une nouvelle grandeur.

1728.

Il s’agit du sang du martyre.

1729.

L’image de la « Curie céleste » apparaît plusieurs fois dans la patristique avant Ennode (voir Aug. ciu. 2, 19 : angelorum curia ; ps.Prosp. carm. de prou. 954 : caeli curia). Elle convient à l’éloge d’Avienus qui incarne la continuité de l’aristocratie après l’Empire et la renaissance de l’antique curie qui reste un des symboles de la romanité. Mais il ne s’agit pas d’un retour en arrière. L’épithète caelestis illustre le caractère religieux de cette renaissance. Les sénateurs sont remplacés par des saints, des martyrs et des confesseurs. La romanité sort des cendres de la Ligurie dans l’éclat de la catholicité.

1730.

La construction transitive de gaudere (ici avec mala) est attestée en latin classique : voir Cael. fam. 8, 14, 1 : dolorem alicuius gaudere.

1731.

Le contexte historique de l’année 503, dominé par le schisme laurentien et l’implication d’Ennode et de Faustus aux côtés du pape Symmaque, incite à voir dans les expressions aduersariorum mala ; inimicorum damna ; inuidia terrena des allusions aux schismatiques laurentiens qui, selon le Liber Pontificalis (voir Lib. pontif. 53. 5, p. 260-261), faisaient régner la terreur dans les rues de Rome à un moment où l’issue de la crise était encore incertaine (voir commentaire, chapitre 6, p. 185-188).

1732.

Deux interprétations peuvent être envisagées. Dans la première, le pronom démonstratif istis reprendrait mala (« quand vous délivrez mon cœur de leur emprise ») ; dans la seconde, que nous avons choisie, le pronom désignerait les lettres et les déclamations (« quand vous délivrez mon cœur par ces choses-là »).

1733.

De quel bien s’agit-il ? De la foi, de l’édification morale, du talent rhétorique ou de la victoire annoncée sur les schismatiques ? Quoi qu’il en soit, tout doit être ramené à Dieu, source de tout bien.