Deuxième lettre à Astyrius. En réponse à son parent Astyrius 1746 qui avait mal accepté ses critiques (peut-être celles de l’epist. 1, 24), Ennode revient vivement à la charge. Astyrius renoncera-t-il à la culture païenne ? Exhortations morales et critique stylistique : le « stylet » d’Astyrius est comparable au soc d’une charrue et il écrit toujours la même lettre !
1. Ta Sublimité montre du respect pour les oracles prophétiques 1747 et, fidèle à leurs vieilles recommandations, elle s’engage à de nouveaux excès. Tu as veillé à ne pas négliger mon précédent avertissement 1748 en lui enlevant sa force. En effet, il a été écrit 1749 par des serviteurs de Dieu dont la doctrine doit pénétrer les oreilles des êtres intelligents, les 1750 guider par le sel savoureux de la parole, que sont peine perdue les conseils donnés à ceux qui sont fixés dans une autre opinion. 2. Moi, pourtant, dont le rang est modeste et l’éloquence indigente, je n’ai auparavant accepté de parler que poussé par les aiguillons de la parenté et c’est pour témoigner ma sollicitude que j’ai répondu à tes lettres précédentes avec la liberté que donnent les liens du sang. Et maintenant, mon cœur souffre de ce que, te privant du fruit des reproches, tu as peut-être tiré orgueil de la politesse hypocrite qui t’entoure 1751 , sans savoir que les traits qu’une main peu experte a lancés contre autrui retombent sur celui qui les lance. 3. Qui verrait un outrage dans ce qui n’afflige la conscience que de celui qui le profère ? Il est naturel aux méchants de penser, au sujet de tous, <le mal> qu’ils méritent eux-mêmes et, dans leurs méchancetés, leur consolation consiste à ne voir l’innocence nulle part. Le tourment d’une vie déshonorante 1752 , c’est de ne pas croire qu’on ait des associés. J’ai écrit ces lignes dans un esprit qui veut que, fidèle à mon sacerdoce, je suis forcé à détester les fautes. Ma dent n’a touché que celui qui s’avoue coupable. Quand nous combattons les vices, la colère désigne le coupable. 4. Car serais-je injuste en ressentant à la place du stylet le soc de la charrue ou en considérant que m’ont été adressés des reproches dont je ne reconnais pas le bien-fondé en les relisant ? En effet, le Seigneur sait que, si elle n’avait pas été marquée de mon nom, je ne saurais pas à qui cette lettre avait été adressée. Garde donc tes bons mots pour toi ou réserve-les à ceux avec lesquels vous 1753 n’avez, sans l’office de la parole, par l’échange d’une familiarité secrète 1754 , que le langage des gestes 1755 . 5. Voici qu’en te présentant l’honneur de mes salutations, je te prie, dans l’adresse de tes courriers, d’être attentif aux lieux, aux dates et aux personnes afin d’éviter que ce que je considère comme ne m’étant pas destiné n’aille blesser peut-être quelqu’un d’autre parce que je crois que tu as adressé le texte de cette lettre à plusieurs correspondants et que tu l’envoies à chacun en te contentant de changer le nom sans considération des mérites respectifs 1756 .
Astyrius : voir epist. 1, 24, p. 354, note 1.
Profeticis oraculis : cette épître s’ouvre par une nouvelle mise en garde contre l’un des symboles de la culture païenne, les « oracles prophétiques » (voir aussi ligne 20 : clamor (…) actuum).
Ce rapide compliment contraste avec les vives critiques de l’ensemble de la lettre. Cela signifie-t-il que, pendant un court moment, Astyrius a tenu compte des observations précédentes d’Ennode mais qu’il est retourné maintenant (nunc) à ses errements ? Dans cette lettre, les exhortations morales sont étroitement liées aux critiques stylistiques. Si le rapport entre la rhétorique et la morale est un lieu commun de l’éloquence antique, il revêt une importance particulière pour les auteurs chrétiens : sous la plume d’Ennode, la vieille culture païenne (profeticis oraculis ; ueterum sanctionum) est la source de vices (excessibus, crimina, uitia…). Le renoncement aux lettres profanes est donc une nécessité morale (voir epist. 2, 6 à Pomerius).
Littéralement : « il existe un écrit… disant que ». La dernière partie de cette phrase est présentée comme une citation que nous ne parvenons pas à identifier.
Problème d’établissement de texte. Faut-il restituer une ponctuation forte avant quos (qui pourrait être alors interprété comme un relatif de liaison) ou bien sous-entendre une conjonction de coordination entre les deux propositions ? L’absence de conjonction est en effet un trait caractéristique de la langue tardive. Dans son étude sur Avit de Vienne, H. Goelzer remarque ainsi « l’omission voulue de certaines conjonctions de coordination. Avitus, qui comme ses contemporains, a une préférence marquée pour le style coupé, se garde bien d’exprimer, sans nécessité absolue, les particules de liaison. Dans les énumérations, il supprime la conjonction et non seulement entre les mots d’une même proposition (…) mais encore entre les propositions elles-mêmes » (voir Goelzer,Avit p. 716).
C’est-à-dire : « tu as peut-être tiré orgueil des gens polis et hypocrites qui sont autour de toi ».
Le sens moral de maculatus est attesté dans la littérature patristique pour désigner le déshonneur d’une conduite païenne (voir Cypr. epist. 67, 9 : profanis et maculatis sacerdotibus).
Le passage à la seconde personne du pluriel s’explique par une généralisation. Il s’agit d’un pluriel générique (« vous », c’est-à-dire « toi et les gens comme toi », « les gens de ton espèce », « vous qui cultivez la culture païenne »).
Cette phrase bien mystérieuse fait peut-être allusion à quelque mime ou représentation théâtrale, en tout cas à des pratiques profanes qui, aux yeux d’Ennode, étaient honteuses pour des chrétiens. Ces critiques rappellent les nombreux textes patristiques qui reprochent la persistance de rites ou simplement d’habitudes païennes, y compris parmi les chrétiens (voir Aug. serm. 62, 9-10 : l’évêque d’Hippone critique la présence de chrétiens parmi les convives curiales d’un epulum païen à Carthage).
Actus doit avoir le sens de « gestes » de l’acteur, voire de « pantomime ». Astyrius avait-il un goût prononcé pour le théâtre antique ? Outre l’intérêt qu’il porte aux « oracles prophétiques » et aux « banquets » (voir epist. 1, 24, 3 note 14), cette passion ferait de lui un représentant de la culture païenne et permettrait de mieux comprendre les violentes critiques d’Ennode. Cet affrontement épistolaire reproduirait ainsi celui de la culture païenne (les oracles ; les facéties théâtrales ; les banquets) et de la culture religieuse (la citation des dei cultores et la propositum d’Ennode). Toutefois, il faut préciser qu’Ennode n’aspire pas à l’élimination de toute pratique profane mais à la disparition de toutes celles qui ne seraient pas mises au service de la culture chrétienne (voir commentaire, chapitre 4, p. 147-151).
La violence de cette épître s’exprime notamment par l’image de la lutte (dens, injuriae, contumelia, odium, incessimus, tela, laedat…) et par le vocabulaire de la faute (improborum, malis, mentita, tormenta, crimina, uitia,…). Car la lutte est aussi celle du bien (culture chrétienne – innocentiam) contre le mal (culture païenne – uitia). C’est pourquoi défendre la culture païenne est un uitium et la dénoncer, un devoir pour les clercs : « J’ai écrit ces lignes dans l’esprit de mon sacerdoce qui me pousse à détester les fautes ».