Cinquième lettre à Olybrius qui exerce de hautes responsabilités en Italie (Préfet du Prétoire ?). La première partie de l’épître est programmatique : après avoir exposé l’idéal stylistique de la « beauté simple », Ennode célèbre la rhétorique d’Olybrius qui incarne cet idéal. La dernière partie fait allusion à une affaire précise : Ennode explique pourquoi il n’a pas encore rempli la mission qu’Olybrius lui avait confiée auprès de Speciosa et ses « sœurs » (année 503)
1. Comme le rapporte certain personnage1759 d’une éloquence sublime1760, la négligence est de règle dans les épîtres et un habile défaut de soin se présente comme la garantie du génie. Dans ce genre de texte, est retranché au plaisir ce qu’a fini par trouver la sueur, témoin des tourments endurés. Celui qui donne des nouvelles de sa santé et en demande de celle d’autrui ne réclame pas des paroles bien dorées au four d’un artisan. Il vaut mieux, dans ce type de relations, que nous nous avancions le front dénué de parures rhétoriques : la beauté simple1761 de l’entretien n’a que faire des diadèmes : la communion épistolaire atteint la beauté lorsqu’enfin elle fuit l’affectation. 2. Mais le récit de votre Grandeur, que vos nuits de travail1762 ont rendu précieux, ne peut être enfermé dans d’indigentes limites ni confiner le trésor de votre parole par quelque borne que ce soit : à la manière des grands fleuves, il méprise le frein des rives1763. En effet, lorsqu’une langue pleine de richesse passe outre le voile bien apprêté des occupations1764, elle fait croire qu’elle se met uniquement au service de ces sujets d’étude auxquels elle n’a peut-être été amenée que par hasard. 3. Et si le témoignage de notre quiétude ne nous faisait sentir que le gouvernement des affaires publiques vous a été confié1765 et que tout ce qui est en ordre partout est le fait de votre labeur et si nous n’avions pas appris que même le soin de l’Italie n’avait pris possession que d’un seul cœur, nous pourrions croire que vous vous épuisez presque uniquement à soigner sans relâche le style de vos lettres1766. C’est à Dieu que sont dues ces faveurs, Lui qui à la fois a conféré une intelligence éprise de connaissance et n’a pas refusé la lime des études pour façonner la parole. 4. La flèche projetée par la corde ne fend pas l’éther aussi agilement que votre discours parcourt les inventions de votre talent. Aucune barrière ne le retarde, aucun obstacle ne le retient, il traverse toutes les difficultés qui pourraient se présenter à lui et, de façon merveilleuse, l’habileté du plaideur change la nature des causes. Tu tournes en mérite1767 d’avoir eu cette affaire que tu désires1768. Est vérité tout ce que vous présentez comme vérité. Ainsi n’est-il pas permis à des juges avisés de te contredire. Les débatteurs les plus pointilleux pensent gagner en réputation s’ils te suivent là où ton impérieux discours les entraîne captifs. 5. À ce langage, à ces richesses – je le reconnais – je dois un respect singulier que je me suis empressé de manifester le premier. Et je souhaite que de très nombreux services me soient demandés pour resserrer l’agrafe1769 de notre affection. 6. Mais je suis désolé de n’avoir pas pu encore accomplir la mission dont vous m’avez chargé à propos des religieuses, Speciosa1770 et ses sœurs. Car il ne me reste maintenant plus aucun lien de familiarité ni d’attachement avec elles, pour la raison surtout qu’elles vivent dans des villes éloignées1771. Je leur ai pourtant transmis aussitôt la lettre qui m’avait été envoyée : elles ont différé leur réponse au jour où elles se verraient. Quant à moi, pour ne pas tenir en suspens votre Grandeur, je me suis acquitté de ces lignes1772 ; plus tard vous parviendra tout ce qu’elles m’auront confié, au moins ce qu’il leur plaît d’indiquer.
7. À présent, en vous présentant l’hommage de mes salutations, je prie votre Sublimité de me confier toutes missions, particulièrement avec l’Église1773, parce que je crois ne pas avoir manqué de vous montrer, dans l’affaire de vos parentes et de la matrone, l’empressement d’un cœur dévoué à votre personne.
Cette lettre, qui expose un idéal épistolaire, s’ouvre par un hommage à Symmaque (voir Symm. epist. 7, 9 : ingeniorum uarietas in familiaribus scriptis neglegentiam quandam debet imitari ; « un talent aux ressources variées doit dans ses écrits privés imiter une sorte de nonchalance », trad. J.-P. Callu).
« L’éloquence sublime », le genus sublime ou genus grande, se distingue du genus medium et du genus humile. (sur le grand style, voir Cic. or. 97 sq. et Quint. inst. 11, 1, 3). Cette éloquence sublime est celle des discours.
Le simplex cultus désigne un idéal rhétorique et épistolaire. Il ne doit pas être confondu avec la simplex doctrina qui désigne la foi chrétienne par opposition à la pompe rhétorique (epist. 2, 6, 5 à Pomerius, note 17).
Diues et elucubrata narratio : « un récit enrichi par les veilles ».
La métaphore cicéronienne de l’eau déchaînée (Cic. Sest. 46) apparaît régulièrement dans les épîtres pour qualifier la force de l’éloquence : voir epist. 1, 1 à Jean et surtout epist. 2, 9 à Olybrius.
Les gens occupés justifient leur silence épistolaire en prétextant leurs « occupations ».
Ces expressions (Reipublicae gubernacula, Italiae curam) indiquent qu’Olybrius exerçait de hautes responsabilités administratives en Italie où il était peut-être préfet du prétoire (voir PLRE, p. 795-796 : « Olybrius 5 », PPO en 503). Dès lors, le mot quietis pourrait désigner non pas un état de quiétude personnelle mais plutôt la paix qui règne en Italie durant la préfecture d’Olybrius.
Ennode dresse le portait d’un homme idéal qui, à l’exemple de Cicéron, serait à la fois un orateur d’exception et un homme politique (voir Quint. inst. 12, 2, 21 : [orator], ut nobis placet, futurus est uir ciuilis).
In merito équivaut à in meritum. Apparemment, Olybrius était impliquée dans une affaire délicate où il a retourné la situation, transformant peut-être un crimen en un meritum grâce à son éloquence.
Cette allusion est caractéristique du style épistolaire : rien n’est dit de ce negotium qui est difficile à traduire.
La fibula est employée sept fois dans le sens métaphorique de « lien » : voir epist. 1, 2, 5, p. 299, note 7.
Le ton des correspondances à Speciosa (epist. 2, 2 et epist. 2, 3) laisse supposer qu’ils ont entretenu, un temps, des relations étroites qui expliquent ici l’expression residuum familiaritatis aut pignoris (voir epist. 2, 2 note 1).
Il est difficile de comprendre cette allusion à partir de nos connaissances sur le monachisme féminin au VIe siècle : pour des raisons inconnues, Speciosa et ses sœurs ne vivaient pas en communauté mais demeuraient éloignées les unes des autres. Vivaient-elles séparées entre elles dans des communautés différentes ? Sur les débuts du monachisme féminin, voir Tertullien, Le voile des vierges, éd. et trad. E. Schulz-Fl Ü gel et P. Matt É i, introduction, chap. 5 : « L’ascèse féminine des origines à Augustin », 1997, p. 62-87 (SC 424).
Prorogare peut signifier « payer d’avance ». Ennode veut dire que, pour ne pas faire languir Olybrius, il a payé d’avance le tribut de sa lettre, avant même d’avoir pu remplir sa mission concernant Speciosa et ses sœurs.
La mission consistait donc à transmettre une lettre d’Olybrius à des religieuses avant de lui rapporter leur réponse. Ennode sous-entend ensuite qu’il a déjà rendu plusieurs services à Olybrius en intervenant pour des parentes à lui – probablement Speciosa et ses sœurs – et pour une autre dame dont nous ne savons rien. Priant son destinataire de lui « confier toutes missions particulièrement avec l’Église », le jeune diacre de Milan manifeste sans équivoque son ambition de jouer un rôle d’intermédiaire entre les classes dirigeantes et l’Église.