14. – Aux Africains

Cette épître a été écrite par Ennode pour le compte du pape Symmaque (498-v.513) 1776 . Elle est adressée aux évêques africains exilés en Sardaigne par le roi vandale Trasamond 1777  : exaltant les récompenses futures du martyre, le pape répond aux évêques, véritables « confesseurs 1778  » du Christ, qui lui avaient demandé la bénédiction des saints Nazaire et Romain (503 ou 507) 1779 .

1. L’Ennemi considérerait peut-être comme un avantage si, parmi les périls qu’il a infligés aux Chrétiens, il avait soumis le cœur des croyants et si, après que le troupeau du Seigneur fut dispersé en tous sens, il ne restait pas même, parmi un petit nombre, des hommes capables de garder leur foi et de le fouler aux pieds. Il règne encore dans votre groupe Celui qui au nombre a préféré la dévotion1780. Car il est écrit que Satan a reçu le pouvoir de passer au criblea 1781 les serviteurs du Christ afin que ce que l’on pouvait trouver de froment rejoignît les greniers et que ce que l’on pouvait trouver de paille allât alimenter le feu. 2. C’est spécialement pour vous qu’il a été dit : « n’ayez pas peur, troupeau craintif : votre Père s’est plu à vous donner le royaumeb 1782 ». Le glaive des perfides est venu parmi vous pour retrancher les membres pourris de l’Église et pour conduire les membres sains à la gloire céleste. Ceux que le Christ a pour soldats, c’est le combat qui les révèle ; et ceux qui méritent le triomphe, on les connaît à la guerre. 3. Ne craignez pas le fait qu’ils vous ont retiré les bandelettes de la tiare1783 épiscopale. Avec vous se trouve ce prêtre ou cette hostie qui a coutume de trouver moins de joie dans les honneurs que dans les âmes. Les récompenses de la confession1784 ont plus de valeur que les charges d’une dignité renommée. Bien souvent, la faveur humaine porte à ces charges des personnes même d’un mérite inférieur, mais seule la Grâce divine confère les récompenses de la confession. Car c’est Lui-même qui en vous a combattu et vaincu, Lui que la foi obtient de voir s’associer même aux tourments des hommes. 4. Il n’est pas besoin d’animer en vous l’ardeur céleste par de longs entretiens. La flamme d’une vertu divine contient son propre accroissement. Il n’est pas besoin non plus de porter aux nues ceux qui ont déjà place dans le trophée1785 et n’ont pas eu besoin de guide pour être victorieux. Tous les éloges qu’apportent les compliments pèsent sur la conscience du Chrétien. Ce que vous avez fait est certes le fait de la vertu mais sera surpassé par le retour de la plus haute récompense1786. 5. Pourtant, l’espoir que vous avez formulé dans votre lettre adressée au diacre, notre fils1787, en réclamant la bénédiction des saints martyrs Nazaire et Romain1788, nous ne le refusons pas à des fidèles. Recevez le vénérable secours d’invincibles soldats parce que le chef suprême a reconnu aussi votre foi lors des combats. Accomplissez dans la joie les œuvres de la confession. Dieu donnera aux Églises, quand il l’aura décidé Lui-même, le retour du repos afin de consoler le chagrin qu’a imposé l’adversité par la douceur de la paix.

Notes
1776.

Après avoir été le secrétaire de l’évêque de Pavie Épiphane et de l’évêque de Milan Laurent, Ennode mit sa plume au service de la chancellerie pontificale : deux lettres du pape Symmaque se retrouvent dans le corpus épistolaire d’Ennode (l’epist. 2, 14 aux évêques africains et l’epist. 5, 1 au patrice Libérius). Plusieurs indices révèlent que d’autres épîtres de Symmaque et de son successeur Hormisdas ont probablement été rédigées – ou fortement influencées – par Ennode. Il s’agit des épîtres relatives au schisme acacien qu’Ennode a personnellement apportées à Constantinople au cours des deux ambassades pontificales qu’il a conduites en 515 et en 517 (voir S. Gioanni, « La contribution épistolaire d’Ennode de Pavie à la primauté pontificale sous le règne des papes Symmaque et Hormisdas », 2001, p. 245-268).

1777.

La persécution des catholiques s’est poursuivie sous le règne du roi vandale Trasamond. Mais contrairement à l’un de ses prédécesseurs, Huniric (477-484), Trasamond ne s’en prenait pas aux fidèles et n’avait pas recours aux supplices. La persecutio (au sens juridique de « poursuite ») cherchait l’extinction progressive de l’épiscopat catholique. Or, les évêques outrepassèrent l’interdiction qui leur avait été faite d’élire des évêques. Cent vingt nouveaux évêques (selon la Vita Fulgentii, 13) furent alors arrêtés, une soixantaine d’entre eux furent exilés en Sardaigne et les autres en Afrique. Parmi les exilés se trouvaient Eugène de Carthage et Fulgence de Ruspe. Celui-ci fut rappelé par le roi qui, après des entretiens sur les questions trinitaires, l’exila de nouveau. L’exil se prolongea jusqu’à la mort du roi en 523 (voir C. Courtois, Les Vandales et l’Afrique, 1955, p. 301-304).

1778.

Le thème, l’objet et le ton de cette lettre rappellent certaines épîtres de Cyprien de Carthage qui, de son exil, adressait des épîtres aux confesseurs persécutés pour les encourager (voir Cypr. epist. 6, 2 à Sergius Rogatianus et aux autres confesseurs : has (…) litteras mitto, quibus gratulor pariter et exhortor ut in confessione caelestis gloriae fortes et stabiles perseueretis et ingressi uiam dominicae dignationis ad accipiendam coronam spiritali uirtute pergatis ; « je vous envoie cette lettre (…) pour vous féliciter tous ensemble et vous presser d’être vaillants et fermes à persévérer dans votre confession glorieuse et de marcher avec un religieux courage par la voie des divines faveurs où vous avez mis le pied, vers la couronne à recevoir », trad. L. Bayard).

1779.

La présence de cette lettre dans le livre II de la Correspondance laisse supposer qu’elle a été écrite vers 503. Or, l’épiscopat de Fulgence de Ruspe, qui faisait partie des évêques exilés en Sardaigne, est situé par son biographe vers 507. Ces deux dates ne sont pas forcément contradictoires. En effet, Fulgence a pu rejoindre les évêques exilés après son élévation au siège de Ruspe (voir G. G. Lapeyre, Saint Fulgence de Ruspe : un évêque catholique africain sous la domination vandale, 1929, p. 156 : « Trasamond fit arrêter le nouveau Pontife et le condamna à rejoindre en Sardaigne les évêques de la Byzacène qui y avaient été exilés dès son avènement au trône et lors de la dernière persécution »).

1780.

Littéralement : « qui ne s’est pas tant complu dans la multitude que dans la dévotion ».

1781.

Voir Luc, 22, 31 : uos ut cribraret sicut triticum.

1782.

 Dans l’epist. 6, 2, Cyprien cite un verset de sens voisin (Matt. 10, 28 : Nolite timere eos qui occidunt corpus, animam uero non possunt occidere ; « Ne craignez pas ceux qui tuent le corps mais ne peuvent tuer l’âme »).

1783.

 Pontificalis apicis infulas : d’origine païenne, les infulae (« bandeaux ») apparaissent dans les ornements liturgiques chrétiens au sens de « pallium, mitre, chasuble ». Elles constituent également l’insigne d’une charge éminente et, par extension, cette fonction elle-même (infulas principales ; archiepiscopatus infula ; Sedis apostolicae infulis, etc.). Dans notre texte, elles ornent l’apex pontificalis et représentent ainsi la dignité de la « tiare épiscopale ». L’expression apex pontificalis est employée par Constantin (Edictum, PL 8, col. 576).

1784.

 Il s’agit du martyre : voir Cypr. epist. 10, 4 : confessione nominis eius ; epist. 39, 4 : Christi confessione.

1785.

 Le tropaeum désigne ici le tombeau de martyr : voir Hier. epist. 46, 12 : tropaea apostolorum et martyrum.

1786.

 Voir Cypr. epist. 6, 2 : necesse est futurorum gaudio praesentia supplicia calcetis (« vous devez nécessairement mépriser les supplices présents par la pensée des biens à venir », trad. L. Bayard).

1787.

 L’identité de ce diacre n’est pas précisée même si certains manuscrits donnent le nom d’Hormisdas, le futur successeur du pape Symmaque. L’éditeur Baronius ajoute le nom d’Ennodius qui était alors diacre de Milan.

1788.

 Nazaire et Romain : Nazaire, habituellement associé à Celse, est un martyr milanais de la fin du IVe siècle dont le corps fut découvert, avec celui de Celse, par Ambroise (Vita Ambrosi, 32-34). Dès le Ve siècle, leurs reliques connurent une importante diffusion dans l’Empire. Romain connut, quant à lui, le martyre lors de la persécution de Dioclétien : appartenant au clergé de Césarée, il fut arrêté et tué à Antioche en raison de son ardeur à soutenir les chrétiens persécutés. Nazaire et Romain incarnent donc la gloire de la confession et la joie du martyre, thèmes de cette lettre aux évêques victimes des persécutions vandales.