18. – Ennode à Jean

Troisième lettre à Jean 1818 , ami d’Ennode et proche de Constantius à Ravenne 1819 . Ennode n’a pas apprécié de ne pas avoir été le premier à apprendre la nouvelle de son retour. Il lui demande une nouvelle fois, dans le malheur des temps, d’entretenir la « concorde promise ».

1. J’ai de bonnes raisons 1820 de m’en prendre à votre sympathie 1821 pour moi par la morsure de mon stylet, pourtant rongé par la rouille 1822 et bien que tu abondes en qualités naturelles et que tu sois riche en talents, tu ne pourrais pas les balayer. Ai-je jamais cru, moi, qu’un autre pût recevoir des nouvelles de votre retour avant moi 1823  ? Ai-je pensé, moi, que le souvenir de moi, quelles que soient vos occupations, quittât ce cœur dévoué aux amis ? 2. Voici que, sous mes yeux, on remet à d’autres des lettres et mon attente amicale est frustrée chaque fois que ma confiance est méprisée. Mais je refuse de remplir davantage ma lettre du fiel des reproches : un écrit bref suffit aux choses tristes 1824 . Mon cœur est toujours dans les mêmes dispositions que lorsqu’il s’est adressé à ta Grandeur au moment de ton départ : il vous appartient, si vous bravez les malheurs des temps 1825 , de préserver la concorde promise. 3. Salut mon cher Seigneur et relève celui qui t’aime par l’échange d’un entretien afin de dissiper, en m’écrivant, la tristesse que ton silence épistolaire a causée, tu le vois, à ton ami.

Notes
1818.

Fils d’un ami d’Ennode, époux d’une sœur d’Olybrius, Jean appartient à l’aristocratie milanaise et exerce une charge à Ravenne en 503. Préfet du prétoire à partir de 512, il sera le père du préfet Reparatus et du pape Vigile. Dans son éloge posthume en 527, Cassiodore (uar. 9, 7) raconte que le préfet Jean a restauré la curie romaine et insiste sur ses qualités d’évergète (voir PLRE, « Iohannes 67 », p. 609-610). Il reçut cinq lettres d’Ennode (epist. 1, 1 ; 1, 10 ; 2, 18 ; 4, 12 ; 6, 37).

1819.

Jean est un proche de Constantius puisqu’Ennode remercie Constantius d’avoir poussé Jean à lui écrire enfin une lettre (epist. 4, 13 : fratrem quoque meum Iohannem per uos mihi restitutum esse confiteor). Cet aveu suggère que l’epist. 2, 18 d’Ennode n’a pas suffi à convaincre Jean. Les liens entre Constantius et Jean expliquent peut-être la présence de l’epist. 2, 18 à Jean dans un groupe de trois lettres à Constantius (epist. 2, 17 ; 2, 19 et 2, 20). Notons en effet que l’epist. 4, 12 à Jean précède également une lettre à Constantius (epist. 4, 13).

1820.

Symm. epist. 3, 17, 1 : habeo expostulandi tecum probabiles causas… ; « j’ai de justes raisons de me plaindre de vous… », trad. J.-P. Callu.

1821.

L’unianimitas est un des termes abstraits utilisées dans les formules de politesse. Si ces derniers sont en rapport avec diverses charges officielles, l’unianimitas manifeste d’abord un fort sentiment de sympathie et peut souvent se traduire par « union de cœur », « concorde », « amitié » ou « sympathie » (voir Hier. epist. 126, 1 : ex Africa uestrae litteras unanimitatis accepi, « j’ai reçu d’Afrique une lettre de votre Amitié », trad. J. Labourt). L’expression unianimitas uestra se rencontre une autre fois dans la Correspondance d’Ennode (voir epist. 3, 29 à Eugenes). L’absence de tout lien familial, semble-t-il, avec Jean ou Eugenes montre que le terme unianimitas n’est pas employé uniquement pour les membres de la famille (voir Bruggisser, p. 158 : « l’appellation unianimitas est utilisée par Symmaque (…) de façon non pas exclusive mais nettement préférentielle (15 occurrences sur 19) pour les membres de sa famille par le sang ou par alliance »). A. Marcone propose une bibliographie critique sur le terme unianimitas (voir A. Marcone, Commento storico al libro VI dell’epistolario di Q. Aurelio Simmaco, 1983, p. 63-64).

1822.

L’image de la « rouille » est un lieu commun pour exprimer le silence épistolaire : voir Sidon. epist. 8, 6, 18 : ori quoque tuo loquendi robiginem summouere ; « écarter aussi de tes lèvres la rouille du langage » (trad. A. Loyen ; voir M. Banniard, « La rouille et la lime : Sidoine Apollinaire et la langue classique en Gaule au Ve siècle », 1992, p. 413-427).

1823.

Ennode revendique un rôle d’intermédiaire entre les élites (voir epist. 2, 13, 7 à Olybrius). Il entend donc faire respecter sa position centrale en manifestant son mécontentement à tous ceux qui l’auraient négligée.

1824.

Cette phrase se retrouve dans certains florilèges médiévaux (voir annexe « Sentences d’Ennode », p. 423-428).

1825.

L’allusion aux « malheurs des temps » est assez fréquente dans l’épistolographie dans la mesure où la lettre est un moyen de faire partager ses propres difficultés ou de soutenir un ami qui traverse des moments pénibles (voir Cic. fam. 5, 14, 3 : Miseris his temporibus et luctuosis : « en ces temps de malheur et de deuil »). Dans le cas présent, il semble que l’expression évoque les troubles consécutifs au schisme laurentien durant lesquels les relations épistolaires revêtent une impérieuse nécessité. Ce lien entre le schisme et les « malheurs » présents rappelle l’exorde du Traité de la prescription contre les hérétiques de Tertullien (voir Tert. praescr. 1 : condicio praesentium temporum etiam hanc admonitionem prouocat nostram non oportere nos mirari super haereses istas… ; « La condition des temps présents m’oblige encore à rappeler qu’il ne faut pas nous émouvoir de ces hérésies… » trad. P. de Labriolle). Dans ce contexte douloureux, l’hypothétique (si temporum mala contemnitis) sous-entend que Jean manque visiblement de courage et qu’il s’abstient d’écrire à ses « amis » au moment où ceux-ci en ont le plus besoin.