Quatorzième lettre à son ami et parent Faustus Niger, le questeur du Palais à Ravenne : Ennode lui recommande le patrice Albinus 1860 afin de l’introduire à la cour.
1. Superflus sont les frais 1861 que s’impose pour rendre service celui qui s’efforce d’aider le soleil avec des torches 1862 . La plénitude de la faveur 1863 n’a pas besoin d’aide et il ne requiert l’appui d’aucune recommandation 1864 celui que ses mérites ont élevé au comble des amitiés. C’est un homme illustre et patrice, Albinus, votre parent, qu’escorte le soin de ma plume : ce n’est pas, en cette page, à ses besoins mais à ses vœux que je réponds et, bien que je n’apporte rien à son intérêt, je n’en mérite pas moins son affection parce que j’ai obéi aux ordres donnés par celui que je viens de nommer. 2. En vous adressant, vénérable Seigneur, l’hommage de mes salutations, je prie donc pour que la haute personnalité que je viens de citer reçoive pour sa bienveillance ce qu’il m’a montré en vous honorant. En effet, je le sais, ce très grand homme ne tardera pas à toucher le fond de votre cœur, car l’honnêteté parfaite de ses intentions viendra s’ajouter, à vos yeux, à ses mérites.
Albinus (voir epist. 2, 21 note 1). Il n’y a, semble-t-il, pas de lien entre l’epist. 2, 21, où Ennode insistait pour recevoir quelques lignes de son correspondant, et cette epist. 2, 22, dans laquelle il fait l’éloge de ce même Albinus qu’il recommande à son ami Faustus. Le contraste est si net qu’on a du mal à croire qu’elles aient été écrites à des moments rapprochés comme le laisse entendre l’ordre des épîtres. Le regroupement de ces lettres pourrait s’expliquer par le fait qu’elles concernent toutes les deux Albinus (voir commentaire, chapitre 1, p. 37).
Plusieurs éléments de cette phrase (l’expression superuacuis inpendiis et le proverbe solem certat facibus adiuuare) sont repris au XIIe s. dans une lettre de Pierre de Celle, abbé de Saint-Rémi de Reims puis évêque de Chartres (Epist. 173 à Jean de Salisbury, ed. and trans. J. P. Haseldine, Oxford Medieval Texts, 2001, p. 666 : superuacuis impendiis laborat, qui solem facibus nititur adiuuare).
Sur cette expression proverbiale, voir Otto, p. 327. On la trouve chez Cicéron (Cic. fin. 4, 12, 29 : ut in sole, quod a te dicebatur, lucernam adhibere nihil interest ; Cael. 67, puis chez Quint. inst. 5, 12, 8 ; Arnob. nat. 1, 27 ; Symm. epist. 3, 482 ; Ennode emploie la même image dans l’epist. 2, 7, 3 à Firminus et dans l’epist. 2, 9, 3 à Olybrius.
L’ambiguïté de l’expression gratiae plenitudo est caractéristique des différents degrés de langage dans la Correspondance d’Ennode. La « plénitude de la grâce » pourrait faire penser à une expression théologique mais le terme gratia désigne ici avant tout les sentiments de bonne intelligence, les relations amicales.
Le statut de cette « lettre de recommandation » est assez problématique dans la mesure où Albinus est alors une figure éminente de l’aristocratie consulaire (voir epist. 2, 21, p. 403, note 1). Pourquoi a-t-il besoin d’une lettre de recommandation d’un diacre de Milan pour la cour de Ravenne, véritable lieu du pouvoir au début du VIe siècle ? Est-ce le signe de la difficulté pour l’aristocratie romaine d’accéder à la cour ou la preuve de l’influence de l’épiscopat de Milan sur les milieux de Ravenne ? Il semble en fait que cette épître soit moins une lettre de recommandation qu’une mise en relation immédiate avec Faustus qui a pour but, à plus long terme, d’introduire Albinus à la cour (voir l’epist. 2, 16 à Faustus dans laquelle Ennode recommande le uir sublimis Pamfronius en demandant son insinuatio à Ravenne). Ennode apparaît donc plus que jamais comme un intermédiaire reconnu entre l’aristocratie romaine et la cour de Ravenne. Cette lettre atteindra son objectif puisque la seconde épître d’Ennode à Albinus sera adressée, vers 508, à un groupe de personnes qui se trouvent à Ravenne (epist. 6, 12 à Liberius, Eugenes, Agapitus, Senarius, Albinus).