24. – Ennode Diacre à son Seigneur Faustus

Seizième lettre à Faustus, parent et ami d’Ennode, questeur du Palais à Ravenne : Ennode célèbre le pouvoir de l’épître qui abolit les distances. Il rend grâce à Dieu d’avoir écrasé l’orgueil démesuré des ennemis (les schismatiques laurentiens). Telle était donc la volonté de Dieu !

1. C’est, je crois, un manquement à l’affection que de ne gratifier les mains des voyageurs d’aucune de ces lettres dont la lecture, d’habitude, porte au loin jusqu’aux traits du visage et rend présentes les images des êtres chers par les bons offices de l’écrit 1873 . À cela s’ajoute aussi la chance d’<avoir> pour porteur l’excellent Luminosus, qui mérite bien de nous deux 1874 et qui, au respect 1875 qu’inspirent vos mérites, ajoute également les fruits de l’amitié qu’il inspire lui-même. 2. Quel frère jumeau 1876 pourrait donc supporter que l’affection fût émoussée par quelque négligence, si je venais à m’abstenir de vous écrire les lettres qu’exige votre estimeet si celui que j’ai nommé ne les recevait pas pour les porter à destination ? Grâce soit rendue à Dieu de ce qu’il a fallu placer en tête de la lettre – puisque votre félicité s’élève et s’accroît par les succès espérés – le fait que la nuque gonflée d’orgueil des ennemis succombe 1877 , par le Christ notre Dieu, sans avoir fait de difficultés 1878 . 3. Mon espérance avait devancé ce qui se réalise effectivement. En effet, il a de bonnes raisons de connaître à l’avance l’aboutissement de la sentence divine celui qui sait en comprendre la nature à partir de la sérénité des actions humaines. Salut donc, mon cher Seigneur, et daignez relever par votre plume celui qui est loin de vous 1879 et qui vous aime afin que l’offrande de vos tablettes 1880 compense tout ce dont nous privent les distances terrestres.

Notes
1873.

 L’exorde exprime une vérité générale sous la forme d’une maxime. La lettre commence ainsi par le rappel des devoirs épistolaires et par un hymne à la magie des correspondances, « dialogues des absents », qui abolissent les distances et rendent présents les absents. Ce pouvoir de l’épître est souvent célébré par les épistoliers (voir Cic. fam. 14, 3 : Vale, mea Terentia ; quam ego uidere uideor itaque debilitor lacrimis. Vale ; « Adieu, ma Térentia ; il me semble que je te vois, et cette vue me fait fondre en larmes. Adieu »).

1874.

 C’est-à-dire : « [il] nous rend à tous deux ses bons services ».

1875.

 La « contamination » du style épistolaire par le vocabulaire religieux (religionem meritorum, gratiae fructus, tabellaria oblatio) fait de l’échange épistolaire un devoir sacré : voir epist. 2, 26 : religio, libamenta, communio.

1876.

 La comparaison avec des « jumeaux » exprime toute la force des relations entre Faustus et Ennode.

1877.

 L’orgueil défait des ennemis évoque probablement la victoire des partisans de Symmaque (dont Ennode et Faustus sont les principales figures) sur les schismatiques laurentiens. Cette interprétation permettrait de situer la rédaction de l’épître après le règlement du schisme (fin 503). La victoire de Symmaque, qui défendait la primauté du siège romain, est présentée comme la réalisation de la volonté divine (voir commentaire, chapitre 6, p. 185).

1878.

 Pour une analyse de la leçon non grauata, voir « Prolégomènes », p. 288, notice 22.

1879.

 Longum est parfois l’équivalent de longinquum en latin tardif (voir Ps.Quint. decl. 320, p. 256 : longas terras et ignotas regiones peragraui « j’ai parcouru des terres lointaines et des régions inconnues »).

1880.

 Nous traduisons tabellaria au sens propre puisque la lettre se présente sous la forme de « tablettes ». L’emploi de ce terme contribue aussi à la uariatio lexicale (voir epistularis, paginalis).