27. – Ennode à Honorat

Unique lettre à Honorat 1906 , un avocat qui occupait une charge à Ravenne et qui est de passage en Ligurie : Ennode est bien triste d’apprendre que la maladie lui a fait perdre ses fonctions à Ravenne. La condition humaine est bien amère ! Mais pourquoi reproche-t-il à Ennode de ne pas lui rendre service ? Qu’il s’occupe donc de ses affaires juridiques et qu’il garde ses accusations pour lui !

1. Vous m’avez signalé dans un récent courrier que vous vous trouviez dans le voisinage, ajoutant au grand dam de ma satisfaction que votre bonne santé était amoindrie. Je ne refuse pas – c’est ce que je mérite – que pour moi, l’amer soit toujours associé au doux 1907 . Jusqu’à présent des affaires pénibles vous ont retenu occupé à remplir votre fonction à Ravenne 1908 . Parce qu’il vous a été donné de vous en délivrer, votre solidité physique a été ébranlée pour qu’il ne fût pas entièrement permis d’obtenir ce que vous souhaitiez. 2. Qu’elle est pénible la condition humaine qui, chaque fois qu’elle a répondu à nos désirs avec quelque saveur, renverse bientôt ce qu’elle vient à peine 1909 de concéder 1910  !

Toutefois, j’ai redouté la calomnie que tu as insinuée dans ta lettre avec une précaution oratoire et par trop ingénieuse, en croyant que je me refuse à ce que tu m’as enjoint pour ton service si j’indique que je n’ai pu le réaliser. Ô mystère d’un esprit habile qui regarde davantage à son intérêt qu’il ne se fie à l’affection ! Dieu m’est témoin que je ne te refuserai pas ce que j’ai le pouvoir de faire. 3. Quant à toi, demande à Dieu de ne pas souffrir que mon action 1911 soit entravée par les ravages des lettres stériles 1912 que tu affectionnes. Car l’obstacle que je redoute le plus, quand on m’a donné la charge d’une intervention, c’est de mériter – ce dont j’ai fait l’expérience – de ne rien recevoir qui ait une valeur rhétorique. Consacre plutôt ton talent aux arides travaux juridiques dans lesquels tout ce qu’a réclamé une langue rocailleuse est vite obtenu ou, sinon obtenu, du moins vite extorqué 1913 . 4. Seigneur, en te rendant l’hommage de mes salutations, j’espère que tu soutiens mes efforts par l’effusion de tes prières parce que, alors que je n’ai pas le mérite d’un savant ou d’un érudit, j’assume souvent, dans les procès, le rôle d’un parfait avocat 1914 .

Notes
1906.

Peut-être originaire de Spolète, frère cadet de Decoratus. Cette épître indique qu’il fut avocat ou du moins juriste et occupa des fonctions à la cour de Ravenne. Elle précise qu’il quitta ses fonctions pour des raisons de santé. Il devint questeur du Palais en 524-525 (voir PLRE, « Honoratus 2 », p. 567-568).

1907.

Sur cette expression d’origine proverbiale, voir Otto, p. 217-216. Elle est fréquemment employée dans la comédie (voir Plaut. Pseud. 63, dulce amarumque una nunc misces mihi ; Pseud., 694, dulcia amara apud te sum elocutus omnia ; Truc., 345, dulce atque amarum quid sit ex pecunia. voir aussi Auson. epist. 12 à Symmaque (= Symm. epist. 1, 32, 1) : fel cum melle misceri non conuenit.

1908.

Le terme excubiae ne signifie pas qu’Honorat exerçait une fonction de garde ou de sentinelle. Il désigne plus largement un service, une charge au palais (voir Cassiod. uar. 5, 41, 5).

1909.

« Même sur le seuil », « juste sur le pas de la porte » : cette expression semble d’origine proverbiale.

1910.

Cette considération générale sur « la condition humaine » constitue une maxime que l’on retrouve dans les florilèges médiévaux destinés à l’aedificatio sui sous le titre d’exhortationes morales.

1911.

Actio désigne une « action en justice » : Ennode était, semble-t-il, chargé de plaider comme un avocat, soit dans des affaires ecclésiastiques soit pour des amis.

1912.

Calamitas (les ravages infligés à la récolte) et infelix (infécond, stérile) filent une discrète métaphore agraire.

1913.

Ennode distingue la recherche du bien (la morale) et les activités juridiques (le droit). Cette opposition se caractérise par deux éloquences distinctes : la morale s’exprime à travers la rhétorique enseignée à l’école (scholasticum) alors que le droit emprunte la langue habile et technique pratiquée par les avocats (daedala, squalentia iura, scabrida lingua). Le rapport entre l’enseignement de la rhétorique et la recherche du bien est un lieu commun de l’éloquence antique (voir Quint. inst. 12, 1 : non posse oratorem esse nisi uirum bonum).

1914.

Le terme perfectus implique ici une signification morale (voir Deut. 18, 13 : estote (…) perfecti, sicut et Pater uester caelestis perfectus est). Au contraire de l’avocat qui recherche à tout prix la victoire, Ennode se présente ainsi comme un homme avide de vertu et se range, non sans orgueil, parmi les perfecti. L’expression in causis, qui désigne des « procès », semble révéler, comme actio un peu plus haut, qu’Ennode exerçait en quelque sorte une charge d’« avocat », pour la défense des intérêts de l’Église ou, comme ici, de ses amis.