PARTIE 1. Problématique et méthodologie

Chapitre 1. Problématique générale

1.1 Notions générales de saisonnalité et de mobilité

1.1.2 Saisonnalité et cycle économique

Le quotidien ne peut s’appréhender archéologiquement qu’à travers certaines activités collectives ou individuelles qui doivent satisfaire chaque jour des impératifs biologiques (tels que dormir, manger, se chauffer, etc.). Or, toute tentative de synthétiser l’image d’une journée d’activités vécue par un groupe d’hommes préhistoriques, l’image d’une « routine quotidienne » comme expression identitaire du groupe en son entier, se heurte à la variabilité dans le temps des pratiques ou des éléments naturels sur lesquels s’exercent ces pratiques. L’univers d’un groupe humain est ainsi très différent selon qu’il est observé en hiver ou en été. Sur l’échelle temporelle avec laquelle travaille habituellement l’archéologie, le quotidien est par conséquent une unité de mesure trop petite pour servir à la reconstitution des modes de vie passées, et encore moins à l’étude des processus historiques.

Cette variabilité intra-annuelle est à la source de la diversification des pratiques technologiques ou rituelles, de l’organisation sociale et spatiale des groupes humains, des relations intra- et intercommunautaires, etc. Comme tout être vivant qui a une durée de vie relativement longue, l’homme n’est pas affranchi de la transformation saisonnière de son environnement naturel et donc de son habitat. Le système culturel dans lequel il évolue est adapté et s’adapte sans cesse à cet environnement du fait que, par leur nature cyclique, ces changements sont en général prévisibles et attendus. Cette dynamique s’inscrit dans la question qui fait débat depuis longtemps en anthropologie et en philosophie concernant les relations entre le culturel et le naturel et le rôle précis que joue le second vis-à-vis du premier. Certes, les impératifs écologiques réduisent dans une certaine mesure les marges de manœuvre d’une communauté, mais les variations saisonnières des ressources biologiques et des conditions météorologiques locales sont vécues avec une intensité plus ou moins forte selon les cultures. Les activités qui auront lieu à tel ou tel moment de l’année dépendent directement des besoins propres d’une population et de ses compétences technologiques. Nous nous intéressons dans cette recherche sur les moyens de reconstituer et décrire le déroulement annuel des principales activités d’une société passée. Nous nous plaçons ici du point de vue des pratiques socio-économiques intégrées à l’échelle de la communauté et non pas celui des comportements individuels ou anecdotiques (encore qu’il ne soit pas toujours possible de faire cette différence à partir des documents archéologiques).

Un calendrier permet d’assurer la cohésion du groupe en ce qu’il fournit des repères temporels et permet de situer des événements, de « faire » l’histoire de ce groupe. La reproduction cyclique des expériences collectives fonde l’identité de la communauté lorsqu’elle génère, comme c’est généralement le cas, des préceptes et des coutumes, et influence en conséquence son organisation sociale. Un calendrier n’est pas un ensemble figé de règles qui doivent s’imposer à chaque moment de l’année, mais une mémoire des gestes adaptés à chaque situation, nouvelle mais souvent prévisible ou anticipée, qui survient au fil du temps (la maturation des fruits, les crues du fleuve, les périodes de sécheresse, la naissance d’un enfant, etc.).Comme le note G. G. Monks (1981, p. 180), à travers de nombreux exemples ethnographiques, « seasonal information is « mapped » in cultural systems of whatever complexity and [...] it is differences in kinds of response to seasonality, not presence or absence of response, with which archaeologists should be concerned. » Ainsi, M. A. Jochim (1976, p. 44-45) définit la notion de « saison économique » comme les mois durant lesquels se déroule un ensemble parfaitement reconnaissable d’activités de subsistance. Sur une année, de telles saisons ne sont pas nécessairement de même longueur et ne correspondent pas forcément aux saisons calendaires.

L’approche descriptive d’une société par son calendrier est relativement commune en ethnologie (e.g. Mauss, 1966 ; Lee, 1972 ; Bourdieu, 1980 ; Beck, 1992), d’abord parce qu’elle n’est pas très éloignée, pour le chercheur, de la tenue de son journal de terrain, et ensuite parce qu’elle a l’avantage de proposer une présentation synoptique de toutes les activités sociales et économiques observées. Bien évidemment, une telle approche est difficile à adopter en archéologie. Selon G. G. Monks (op. cit.), la coïncidence des pratiques humaines avec des évènements naturels nous donnerait en principe la possibilité d’accéder à une dimension temporelle relativement réduite, à l’échelle de la saison, de l’organisation des sociétés. Les modes de rejet des déchets domestiques en sont les témoins archéologiques parmi les plus manifestes (Monks, op. cit.) : les accumulations seraient temporaires, localisées et dispersées entre divers campements saisonniers chez des sociétés nomades, alors qu’elles prendraient l’aspect de strates saisonnièrement distinctes, proches des zones d’habitation, chez des populations sédentaires. Toutes les activités ne sont malheureusement pas raccordées aux saisons ou à des périodes de temps plus précises encore, et le calendrier d’une société, même au niveau seulement de la subsistance, ne peut qu’être imparfaitement restitué. Il n’empêche, selon nous, que le recueil systématique des données archéologiques de nature saisonnière viendrait enrichir cette problématique encore trop peu explorée.

L’étude de la saisonnalité est avant tout un outil de description et n’a pas vocation première à expliquer les comportements sociaux et économiques. En revanche, les données qu’elle fournit sur la distribution répétée des activités dans le temps doivent permettre, sur la base des connaissances déjà disponibles sur le contexte culturel et socio-économique, de comprendre l’adaptation particulière d’une communauté préhistorique placée dans un environnement donné, et notamment son mode d’occupation du territoire.