1.4.1 Evolution des conditions environnementales entre 12 000 et 6 000 BC

Durant la dernière période glaciaire, les analyses polliniques indiquent une steppe sèche et froide pour les régions intérieures du Proche-Orient (Bottema, 1995). Avec le réchauffement postglaciaire, une forêt pré-steppique, de type irano-touranien, se met progressivement en place dans les zones recevant au moins 250 millimètres de pluies annuelles en moyenne. L’association végétale de cette steppe arborée comprend notamment des céréales, des pistachiers (Pistacia atlantica), des amandiers (Amygdalus), des chênes à feuilles caduques (Quercus) et des Prunus microcarpa (Hillman, 1996 ; Willcox, 1996, 2000). On ne la trouve plus actuellement que sous formes reliquaires sur les contreforts de certaines chaînes montagneuses, à partir de 650 mètres d’altitude (Djebel Bishri, Djebel Abu Rujmayn, Djebel ‘Abdul ‘Aziz, Sinjar, etc.).

A l’échelle planétaire, le Dryas récent (11 000-9 800 BC) est une période marquée par un subit refroidissement (Fig. 1.4). Le Natoufien final et le début du Khiamien traversent cette phase de péjoration climatique alors que la fin du Khiamien et le Néolithique précéramique (PPNA et PPNB) connaissent les premiers temps du réchauffement de l’Optimum holocène (Sanlaville, 1996). D’après les études récentes (Bottema, 1995 ; Cauvin et al., 1998 ; Helmer et al., 1998), les effets climatiques produits par le Dryas récent semblent avoir été de faible ampleur dans les régions intérieures du Levant nord. La continentalité plus forte de ces dernières par rapport à la zone méditerranéenne, l’effet « tampon » des zones désertiques du sud-est et les basses latitudes (entre 37° et 35° N) peuvent expliquer ce phénomène (Helmer et al., op. cit.).

Néanmoins, la stabilisation du climat vers 9 500 BC a sans doute favorisé l’agriculture à cette période (Willcox, 2000), et quelques différences climatiques ont été observées entre la fin du Pléistocène et le début de l’Holocène. Ainsi, la présence du seigle et de l’engrain sauvages dans le Natoufien final à Mureybet (Willcox, op. cit., à paraître), et celle de renards communs (Vulpes vulpes) de plus grande taille que ceux des niveaux d’occupation supérieurs dans le même site (Helmer et al., op. cit.), parmi d’autres indices, suggèrent des températures sensiblement plus basses que dans l’horizon PPNA. Une ambiance plus humide que l’actuelle a été supposée pour le Natoufien final, le Khiamien et le PPNA (ibid.), mais une remontée des isohyètes le long de la moyenne vallée de l’Euphrate est perceptible à partir du PPNB ancien et dans les périodes suivantes, à travers notamment les variations de la taille moyenne des gazelles (Gazella subgutturosa) de Mureybet, Cheikh Hassan, Dja’de et Halula (Helmer, 2000a) 4 . L’isohyète des 250 millimètres marque plus ou moins la limite en dessous de laquelle la culture des céréales devient problématique sans irrigation, et c’est aussi la ligne théorique de partage entre la steppe humide et la steppe sèche. Le premier type correspond à la forêt pré-steppique que nous avons déjà évoquée, les steppes sèches présentent une association végétale dominée par Artemisia herba-alba et des chénopodes (Hillman, 1996 ; Besançon et al., 2000). Au PPNA, l’environnement de Jerf el Ahmar était la steppe arborée alors que le site de Mureybet, à 60 kilomètres en aval, se trouvait à la même époque aux abords de la steppe sèche (Willcox, 1996 ; Roitel, 1997 ; Helmer et al., 1998 ; Helmer, 2000a). Le recul des espèces arborées, dû à la remontée des isohyètes (aridification croissante) et peut-être en partie aux activités anthropiques (surpâturage), est plus clairement attesté à partir du PPNB récent et final (Helmer, 2000a ; Sanlaville, 1996). Les zones désertiques au sud de l’Euphrate ont pu être occupées à ces périodes grâce à l’existence d’oasis autour des sources artésiennes et du développement du pastoralisme.

A travers ces étendues steppiques, l’Euphrate et certains de ses affluents (Balikh, Khabour) constituent un biotope particulier, peu sensible aux modifications de la pluviosité. La plaine sédimentaire de l’Euphrate s’étend par endroits sur près de 4 kilomètres de large et le fond de la vallée détermine une bande boisée quasi continue, la ripisylve, principalement composée de peupliers (Populus euphratica) et de tamaris (Tamarix). Au Dryas récent et au début de l’Holocène, le fleuve circulait à travers un système de chenaux changeant de configuration au gré des inondations annuelles et parsemé d’îlots, de mares permanentes ou temporaires, de zones marécageuses, de roselières et de prairies naturelles. Ce n’est qu’à partir du Néolithique céramique que l’Euphrate a commencé à prendre un tracé unique à méandres déformables tel qu’on pouvait le voir jusqu’à récemment avant la construction de barrages en Turquie et en Syrie (Geyer et Besançon, 1997).

Notes
4.

Cette hypothèse est confortée aussi sur par les résultats de l’étude anthracologique (Roitel, 1997) et de l’étude des micromammifères (Haidar, en préparation).