1.4.3 Calendrier agricole

Le cycle climatique annuel, en dépit de ses effets physiologiques objectifs, n’est pas perçu de la même manière par les sociétés humaines. Les représentations collectives du phénomène diffèrent selon les activités dominantes des communautés et sont souvent traduites explicitement dans les préceptes religieux. A titre d’exemple, les Bédouins du Proche-Orient distinguent cinq saisons (Musil, 1928b, p. 7). Leur année démarre avec les premières grosses averses, au début du mois d’octobre. C’est le moment pour eux de quitter les abords des terres cultivées pour rechercher des pâturages dans la steppe désertique. Cette période, appelée as-sferi, dure jusqu’au début de janvier et est suivie par ash-shta’ qui se termine au début de mars. Deux saisons très courtes se succèdent à la fin du printemps, de mars à la mi-avril (as-smâk) puis de la mi-avril au début de juin (al-sejf, ou as-saifi d’après Lancaster et Lancaster, 1991). Enfin, l’été correspond à la période appelée al-kêz (ou al-gaith d’après Lancaster et Lancaster, op. cit.).

Pour les agriculteurs, les préoccupations sont quelque peu différentes puisque leur mode de subsistance dépend étroitement du cycle de vie des plantes qu’ils cultivent. Rappelons d’abord que les cultures d’été (e.g. sorgho, coton, cucurbitacées) ont été introduites récemment au Proche-Orient. Comme le précise J. Kerbe (1987), c’est sur les courtes saisons intermédiaires, l’automne et le printemps, que se joue le sort des récoltes. Les céréales appartiennent à un groupe d’herbacées adaptées aux fortes contraintes saisonnières grâce leur capacité de stockage des nutriments dans les graines. Aujourd’hui comme dans le passé, l’orge et les blés sont semées après les premières pluies, en octobre ou novembre, et « germent sous les derniers beaux jours » (Weulersse, 1946, p. 25). Les plantes sont en dormance tout l’hiver (vernalisation) et fleurissent au printemps (photopériode). Les mois de mars et avril sont une période cruciale pour la croissance finale des céréales. Les petites averses printanières sont favorables mais les cultures peuvent être mises à mal par l’arrivée précoce et brutale du Khamsin (ibid.). La saison des moissons est très variable selon les années et les localités. D’après les anciens observateurs, la récolte de l’orge dans la région du Moyen Euphrate a toujours eu lieu à partir de la mi-avril et en mai, et celle du blé, plus tardive, en mai et au début de juin (Russell, 1756, vol. I, p. 74 ; Chesney, 1969, vol. I, p. 537 ; Musil, 1927, p. 32, 161 ; Weulersse, op. cit.). Les autres cultures d’hiver, les légumineuses telles que les lentilles, les fèves, les pois chiches, les vesces et les gesses, sont semées en novembre-décembre et récoltées dès mars-avril (Weulersse, op. cit.).

Les céréales sauvages poussent actuellement dans les régions montagneuses mais leur aire de distribution devait autrefois s’étendre aux steppes du Levant nord en se concentrant dans les dépressions, les sols riches et aux abords des oueds (Bottema, 1995 ; Hillman, 1996). Que les céréales soient sauvages ou domestiques, la collecte à l’époque préhistorique prenait place au printemps, entre avril et juin. Contrairement aux pratiques agricoles en vigueur dans les vallées du Nil et de l’Indus, les premiers agriculteurs n’ont pu tirer avantage des limons abandonnés périodiquement par les crues de l’Euphrate, puisque le phénomène survient bien trop tard par rapport à la période de maturité des céréales. En revanche, des cultures sèches étaient possibles dans les terrasses supérieures, au-dessus de la plaine inondable, et dans certains secteurs favorables de la steppe environnante (Sherrat, 1980 ; Willcox, 1996). En l’absence d’irrigation, les irrégularités intra- et inter-annuelles des précipitations fragilisaient ce type d’économie, sans toutefois le rendre inopérant. D’ailleurs, dans les régions arides de la Palmyrène, une agriculture sèche venant en complément de l’agriculture irriguée dans les oasis, était encore pratiquée au XXe siècle « dans les vallées à fond plat, que les pluies d’hiver imprègnent ou dans les rodat (zones d’épandage des torrents débouchant en plaine) » (de Boucheman, 1936, p. 70).

Les principales notions de base sur la saisonnalité et ses implications dans le système socio-économique viennent d’être présentées. Le cadre environnemental et culturel de notre sujet de recherche ayant été posé, il convient maintenant de s’interroger sur les moyens dont nous disposons pour identifier les indicateurs saisonniers dans le matériel archéologique.